Par Jean-François Ponsot, économiste atterré,
Le développement des monnaies locales et complémentaires depuis la fin des années 1990 approfondit les liens sociaux tissés par l’action citoyenne pour régénérer les territoires. On recense plus de 4000 dispositifs en 2013 dans plus de 50 pays du monde, avec une nette accélération de leur développement depuis 2008. Cela n’a rien d’étonnant : la crise financière globale a renforcé le besoin pour les citoyens de se réapproprier un bien public censé répondre aux besoins de la société, la monnaie. Or celle-ci ne remplit plus ce rôle. La monnaie créée par les banques n’est plus au service de l’économie « réelle ». La monnaie officielle n’incarne plus un grand projet de prospérité et de société fondée sur un nouveau paradigme. Particulièrement en Europe. Pour certains, l’euro est la monnaie de l’austérité, pour d’autres, elle est déconnectée des enjeux sociaux et environnementaux de notre temps. Pourquoi ne pas alors créer, à l’échelle locale, sa propre monnaie associée à des valeurs et principes éthiques communément partagés ?
Etant arrimés au système monétaire officiel, ces dispositifs n’ont pas besoin d’une réglementation par l’autorité monétaire pour être bien structurés. Leur développement bénéficie d’un apprentissage collectif cognitif tirant les enseignements des expériences qui ont posé problème. On sait désormais qu’une monnaie locale, à l’instar de toutes les autres monnaies, repose sur la confiance et un esprit communautaire solide. Son fonctionnement doit être simple et reposer sur une charte de valeurs bien identifiées, sans quoi elle suscitera les réticences de ses utilisateurs potentiels. Elle ne doit pas être accaparée par un groupe particulier (militants radicaux, bobos des centres-villes, etc.), mais faire consensus au sein de la communauté pour assurer sa diffusion.
Le succès des monnaies locales repose sur l’action décisive de trois catégories d’acteurs. Tout d’abord, le dynamisme des citoyens utilisateurs bien sûr. Ensuite, le soutien des collectivités locales qui ont un grand rôle à jouer dans la pérennité financière, les premières années, et dans la diffusion de la monnaie locale. On regrettera ici la lourdeur du cadre législatif français qui limite, pour l’instant, la possibilité de versement de subventions et le règlement des impôts locaux en monnaie locale, comme cela se fait par exemple à Bristol, en Angleterre. Enfin, une troisième catégorie d’acteurs est essentielle : celle des prestataires qui, bien entendu, auront signé la charte des valeurs. Sans entreprise, commerce de proximité, artisan, association, etc., le périmètre de la monnaie locale reste circonscrit au cercle des citoyens. La monnaie locale perd alors sa formidable capacité à transformer les comportements d’échange à l’échelle locale et à répondre aux enjeux essentiels de notre société.