Dans une école de Strasbourg, les enfants de deux ans et demi sortent tous les jours pour creuser, construire, grimper, patouiller… Dans ce quartier en proie au bétonnage, Claude et Frédérique, leurs maîtresses, cultivent patiemment leur coin de nature ensauvagée.
Ici, il y avait un petit bois, et pas de rues, pas de voitures entre les immeubles, dit Joëlle Quintin en passant. Mais il y a eu une opération de renouvellement
urbain… c’est-à-dire, de bétonnage. » Nous sommes à l’ouest de Strasbourg, dans la « maille Jacqueline », l’un des ensembles du vaste quartier d’Hautepierre. Salariée de l’association Eco Conseil, Joëlle accompagne des jardins scolaires et jardins partagés. Devant l’école maternelle Jacqueline, des habitants cultivent un petit potager où ils laissent s’épanouir un parterre de menthe et un buisson d’ortie. « A côté, ils bétonnent… et là, nous, on réussit à débétonner ! » s’étonne Joëlle en poussant le portail de l’école.
A l’intérieur, les framboisiers foisonnent et les plantes s’emmêlent presque librement. « C’était un jardin classique », précise Joëlle. « On le laisse s’ensauvager, en ménageant des passages pour les enfants », dit-elle en désignant les quelques dalles qui dessinent un couloir dans le carré de topinambours. « On va les laisser encore pousser… Quand les gamins y passeront, ce sera pour eux une forêt ! » Juste à côté, des gamelles, bouteilles de lait et couvercles suspendus constituent une sorte de batterie : chaque enseignant investit les lieux en fonction de ses préférences pédagogiques.
« On a fait des descentes sur des dépôts »
Passé ce premier jardin, différents espaces, délimités par de petites barrières en bois, entourent le bâtiment – cela permet à deux ou trois classes, sur les dix que compte l’école, de sortir en même temps. Il y a, bien-sûr, la traditionnelle cour goudronnée et son éternel toboggan. Mais la nature gagne du terrain : derrière l’école, une parcelle a été aménagée par la mairie selon les souhaits des enseignants – une mare sèche, des morceaux de bois, de la terre…
Enfin, il y a le jardin des institutrices Frédérique De March et Claude Roubert. Elles y ont installé des plantes, des cailloux, des troncs et des branches, une butte à escalader, des sentiers… La hutte végétale sert de tunnel en hiver, et de lieu de lecture au printemps.
Mais l’aménagement dont elles sont le plus fières, c’est le fil d’eau, qu’elles ont mis deux ans à concevoir et maçonner, petit à petit, avec l’aide de Joëlle : une sorte de ruisseau dans lequel les enfants peuvent patouiller. « On a fait des descentes sur des dépôts sauvages de gravats et de pierres, raconte Frédérique.
On a récupéré des palettes et des végétaux… Il faut avoir une grande voiture, de la bonne volonté, et du temps ! »
La Région Alsace finance un accompagnement des enseignants qui souhaitent mener des projets sur l’environnement. C’est ainsi que Joëlle a rencontré Frédérique et Claude, un solide duo d’institutrices qui travaillent ensemble depuis dix ans, et s’adaptent à la réalité du quartier : quand les tout petits arrivent dans leurs classes, à deux ans et demi, plus de 90 % ne parlent pas un mot de français.

Cela fait trois ans que les deux enseignantes sortent tous les jours avec leurs élèves, par tous les temps.
L’aventure a commencé avec la création d’un chemin olfactif et sonore. « Claude et Frédérique me disaient : “C’est super, mais il faudrait plus de temps pour que les enfants puissent manipuler, expérimenter”, raconte Joëlle. J’avais connaissance d’une pédagogie pratiquée en Allemagne et en Suisse, où les enfants sont en contact très régulier avec un espace naturel, le plus sauvage possible. » Joëlle, Frédérique et Claude ont visité en Suisse un jardin d’enfants dont les élèves sortent en forêt deux fois par semaine, de 9 à 14 heures, et mangent un repas cuisiné sur un feu de bois. Puis, elles ont adapté le concept à l’école publique française et au milieu urbain dans lequel elles se trouvaient. Cela fait trois ans que les deux enseignantes sortent tous les jours avec leurs élèves, par tous les temps.[quote]On a deux mondes : le jardin, et la classe[/quote]« On divise la matinée en deux. Quand l’une est en haut, l’autre est en bas avec une assistante maternelle. Ça permet à chacune d’avoir plus de place. »
Au premier étage de l’école, les deux enseignantes partagent un espace clair et décloisonné, organisé en coins jeux, peinture, lecture…
Nous les trouvons sur un balcon, en train d’arranger des tranches de bois qui serviront de jeu de construction, de sièges, ou de tout ce que les enfants voudront bien inventer avec. La classe est vide : les Très petite section ne viennent à l’école que le matin. L’après-midi, Frédérique et Claude prennent en charge d’autres élèves par petits groupes, et aménagent le jardin.
Un monticule de petites bottes
L’une des premières choses qui sautent aux yeux, à l’entrée de la classe, c’est un monticule de petites bottes en caoutchouc. Les bottes, c’est tout un symbole : apprendre à les enfiler seul est une étape clé dans la prise d’autonomie des enfants. « Au début, c’est très long d’aller dehors, sourit Frédérique. On passe plus de temps dans le couloir à chercher, mettre et enlever les bottes et les vestes, que dans le jardin. Mais ce n’est pas du temps gâché, car ils comprennent qu’ils sont capables de le faire. » Claude ajoute que cette période « convient bien aux débuts : ils ont encore un peu peur d’aller dehors, ce n’est pas la peine d’y rester longtemps. Et pour le vocabulaire, c’est extraordinaire : ils savent dire chausson, chaussette, bonnet… » Il y a quelques mois, les maîtresses ont commandé des salopettes imperméables, comme celles des jardins d’enfants suisses et allemands. Un nouveau mot dans le lexique !
Ce reportage a été réalisé par Lisa Giachino, journaliste à L’âge de faire. Pour lire ce reportage en entier et lire les autres papiers du dossier consacré à l’école à l’air libre : achetez le numéro 101 ou mieux abonnez-vous !