Début octobre, des trombes d’eau se sont abattues sur le Var et les Alpes Maritimes. Jusqu’à 107 mm d’eau sont tombés en l’espace d’une heure sur Cannes – alors que le précédent record enregistré était de 69 mm. Ces violentes intempéries sont-elles une conséquence directe du changement climatique ? Les experts restent prudents, tout en expliquant qu’il est très probable que ces phénomènes extrêmes se multiplient.
A Cannes, Antibes, Nice, les dégâts sont énormes : l’eau a atteint une telle puissance dans les rues de ces villes qu’elle a emporté des voitures, inondé les maisons, provoqué la mort de dix-neuf personnes. L’importance des précipitations n’explique pas, à elle seule, la catastrophe qu’elles ont entraînée. Le bétonnage en est, au moins, le coresponsable. « L’eau ne peut pas s’infiltrer dans une plaine littorale totalement urbanisée et imperméabilisée » (1), explique ainsi Christine Voiron-Canicio,géographe spécialiste de l’urbanisation en zone littorale.
L’expansion plutôt que la densification
Depuis les années 1970, on a assisté à une très forte urbanisation des sols. Les terres, qui absorbaient
les eaux de pluies, ont été largement imperméabilisées. Entre 2006 et 2014, ce sont ainsi 491 000 hectares qui ont été artificialisés (2). Or, les espaces artificialisés sont constitués, pour deux tiers, de sols imperméabilisés… Ainsi, tous les dix ans, l’équivalent de la surface d’un département
est mangé par le béton. L’eau ne s’infiltre plus dans les sols et son ruissellement sur le bitume, particulièrement rapide, augmente encore les risques de catastrophe.
Principale consommatrice d’espaces naturels ou agricoles : la construction d’habitations individuelles.
Au niveau national, elle représente près de la moitié de l’artificialisation des sols. Suivent les réseaux routiers, qui ont consommé quelque 79 000 hectares entre 2006 et 2014. Et le Var compte parmi les départements qui se sont le plus artificialisés entre 2006 et 2014, notait le Service
de la statistique et de la prospective du ministère de l’agriculture dans un rapport publié en juillet. Un phénomène qui s’explique en partie par une hausse importante de la population du département : elle a augmenté de plus de 40 % ces trente dernières années. Or, cette hausse n’a été accompagnée d’aucune véritable mesure de contrôle de l’étalement urbain et des risques d’inondations :
la fiscalité encourage les constructions en périphérie plutôt que la densification des centres. Et « des travaux ont été faits pour construire des bassins de rétention, mais on voit bien que c’est insuffisant », note Christine Voiron-Canicio.
Un risque largement connu
Le site Reporterre mentionne ainsi le rapport du sénateur Pierre-Yves Collombat, publié en 2012. Le socialiste y dénonce le fait que cette urbanisation galopante a été réalisée « sans aucune prise en compte du risque inondation […] Le manque de moyens des services de l’Etat et des services municipaux, s’agissant des petites collectivités territoriales, face à la ténacité et à l’ingéniosité des promoteurs et à la pression des propriétaires fonciers est un élément d’explication. La mise en place […] d’un PLU (Plan local d’urbanisme, Ndlr), est l’exercice de politique locale le plus à risque dans le Var, comme partout où la pression foncière est forte. »
Comment expliquer cette « soif de construire », décrite par la Cour des comptes dans un rapport de 2012 ? Réponse sans détour du sénateur Collombat : l’argent. Et de s’étonner qu’il n’y ait jamais eu « de procès marquant ou de sanction électorale pour fait de “bétonnage” illégal et dangereux ». Selon l’Association française de l’assurance, les dégâts provoqués par les inondations d’octobre se chiffreraient entre 550 et 650 millions d’euros. Au niveau mondial, si rien n’est fait pour enrayer ce phénomène, le coût des inondations dans les grandes villes côtières atteindra 750 milliards d’euros par an à l’horizon 2050 (3).
Nicolas Bérard
• 1 – Dans un entretien accordé au journal Ouest-France.
• 2 – Données SSP – Agreste – Enquêtes Teruti-Lucas. Ces données tiennent compte des hectares faisant le chemin inverse : entre 2006 et 2014, 190 000 hectares de sols artificialisés ont été restaurés en sols agricoles, mais, dans le même temps, 524 000 hectares de sols agricoles ont été artificialisés.
• 3 – Selon une étude publiée en 2013 par la revue Nature Climate Change.
Le numéro dans lequel est paru ce papier est en vente au prix de 2 euros ici.