Ça fait deux jours que j’ai le seum, mais un seum plus honteux que hargneux, en mode penaud… Je vous explique.
Mon fils de 14 ans dit qu’il a le seum quand il vient de perdre un match de basket qu’il pensait gagné d’avance. En arabe, sèmm signifie venin. Nos ados utilisent sa version transformée pour dire leur sentiment de frustration, d’écœurement et de colère, mâtiné parfois d’un peu de jalousie. Quand ils sont dégoutés, quoi ! De mon côté, ça fait deux jours que j’ai le seum, mais un seum plus honteux que hargneux, en mode penaud… Je vous explique.
Cette nouvelle rubrique sur les mots va piocher, au fil des mois, dans trois livres qui, chacun à leur façon, s’intéressent au vocabulaire dominant et à la manière dont on peut se le réapproprier. Il était prévu que je vous les présente ici, tous les trois, dans ce numéro. Oui, mais voilà : j’ai égaré l’un d’entre eux. En plein bouclage et sous l’œil perplexe de mes collègues de la rédaction, j’ai retourné toutes mes affaires, les tiroirs du bureau, fait cinq fois l’inventaire de mes livres à la maison…
Pas moyen de les retrouver, lui et la petite note que j’avais griffonnée après avoir échangé au téléphone avec son autrice. Madame, si vous me lisez, je ne sais ni votre nom, ni le titre exact de votre ouvrage, et je n’ai pas votre numéro de téléphone. Tout ce que je peux dire, c’est que vous êtes une ancienne enseignante de FLE (Français langue étrangère) et que vous avez assisté à l’évolution du vocabulaire utilisé par l’éducation nationale, contaminée comme tout le reste par le langage économique. Vous épinglez par exemple les termes de « production écrite » et « production orale » appliquée au travail des élèves… S’il-vous-plait, pourriez-vous me téléphoner quand vous lirez ces quelques lignes ?
En attendant plus de détails sur votre livre, parlons des deux autres. Le pouvoir des mots est un recueil des chroniques « La guerre des mots », publiées dans Transrural Initiatives. À l’image du magazine, corédigé par des journalistes et par des militants syndicaux et associatifs, cet ouvrage collectif a été écrit par des paysannes et paysans, animateurs ruraux, militantes du réseau Civam (Centres d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural)… Il questionne particulièrement les mots qui ont envahi notre vie associative, à coups de dossiers de subventions, et dont nous avons du mal à nous dépêtrer : projet, gouvernance, développement, innovation…
Jérémy Guillon, lui, a décidé de se moquer du discours dominant dans son Parfait lexique du perroquet médiatique. « Historique », « prendre ses responsabilités », « réformes nécessaires », « sentiment d’insécurité »… Ces mots et expressions, qui tournent en boucle dans la bouche des responsables politiques et des journalistes des « grands médias », sont étalées dans toute leur absurdité. Ça fait du bien !
Lisa Giachino
– Le pouvoir des mots, Se réapproprier le vocabulaire dominant pour transformer la société, ouvrage collectif, éd. Adir, 2021, 10 euros.
– Parfait lexique du perroquet médiatique, Jérémy Guillon, éd. Libre et solidaire, 2022, 21,90 euros.