Il veut la retraite à 50 ans, mais la possibilité pour les retraités de rester dans l’entreprise, et de décider. Avec l’économiste marxiste Bernard Friot, on fait un pas de côté pour penser différemment la retraite et le travail à l’occasion de la sortie de son dernier livre, Prenons le pouvoir sur nos retraites.
L’âge de faire : Pour vous, le débat sur les retraites est mal posé.
Bernard Friot : Mon petit ouvrage d’intervention* porte sur le long terme de la lutte des classes sur la retraite. J’ai effectivement des réserves sur la façon dont le débat est mené depuis 35 ans, mais je soutiens de toutes mes forces la mobilisation actuelle.
D’après vous, les pensions de retraite sont des salaires. La différence principale, c’est que ce salaire n’est plus lié à l’exécution d’une tâche comme dans le cadre d’un contrat de travail.
Sur les 340 milliards d’euros annuels de pensions versées, plus de 250 milliards ne sont pas calculés en fonction de ce que les pensionnés ont cotisé, mais en fonction du salaire de référence. N’est-ce pas la preuve que la majorité des pensions n’est pas un revenu « différé », mais un salaire « continué » ? Lier le salaire à la personne, non au poste : c’était bien l’objectif, révolutionnaire, de la mise en place du régime général en 1946. Révolutionnaire car un salaire lié à la personne rend possible le travail librement choisi, contre le travail subordonné capitaliste.
La réforme de la retraite s’inscrirait dans un agenda plus large : la lutte de la bourgeoisie pour reconquérir son emprise sur le travail.
Le pouvoir de la bourgeoisie repose en effet sur le fait qu’elle maîtrise le travail. En décidant ce qui va être produit, et comment, elle exploite les travailleurs pour faire fructifier son capital. Dans les années 50, il y avait une forme d’adhésion implicite à ce travail capitaliste car beaucoup de travailleurs aspiraient à sortir de la pauvreté, quitte à s’aliéner un temps dans la journée. Aujourd’hui, la résistance contre cette forme de travail est beaucoup plus forte, car son absence de sens est de plus en plus visible, tout comme la catastrophe environnementale à laquelle elle nous conduit. D’où l’acharnement de la bourgeoisie à réaffirmer le paiement à la tâche, qui nous oblige à accepter la tâche imposée, et donc à supprimer le droit au salaire des retraités pour le remplacer par une pension qui serait le différé des cotisations de toute la carrière.
Vous prônez la retraite à 50 ans, mais la possibilité pour les retraités de rester au cœur de la vie de l’entreprise.
À 50 ans, on devient senior pour les entreprises : on commence à être mis sur la touche. Et beaucoup de seniors sont exaspérés parce qu’ils sont soumis à des ordres absurdes qui les empêchent de bien exercer un travail qu’ils connaissent très bien. Imaginons maintenant une retraite à 50 ans conquise pour affirmer la souveraineté des travailleurs sur la production. Les « seniors » disparaissent au profit de salariés titulaires de leur salaire et protégés contre les licenciements parce qu’ils seraient chargés d’organiser la maîtrise collective du travail par les salariés, contre les directions et les actionnaires. Bien sûr, ils pourraient quitter leur entreprise (ou leur service public) s’ils le souhaitent, pour aller dans une autre où ils se sentiraient plus utiles.
Et si, à 70 ans, ou à 50 ans d’ailleurs, on n’a plus envie de travailler ?
Le pari communiste, c’est que tout humain aspire à contribuer au bien commun, et plus précisément à la production de valeur, du moment que la nature de celle-ci n’est plus décidée par le capital, mais par la collectivité des travailleurs-citoyens. Le salaire doit être un droit politique exprimant la responsabilité de toute personne majeure sur la production. C’est pourquoi il doit être inconditionnel, comme l’est le droit de vote. De même qu’il y a une éducation civique pour pousser à l’exercice de ce droit, il y aura un service public de la qualification pour accompagner les personnes dans la recherche de contrats de travail ou dans la création d’entreprise, mais sans conditionner leur salaire à la production de valeur, tout comme le droit de vote n’est pas conditionné au fait de voter.
Propos recueillis par Fabien Ginisty
* Bernard Friot est professeur émérite à l’université Paris Nanterre. Il vient de sortir Prenons le pouvoir sur nos retraites, un livre « tract » à 8 euros dans lequel il simplifie sa pensée pour nous inviter à voir le combat pour les retraites intégré dans un combat plus global : libérer le travail de son joug capitaliste. Sa proposition pour un salaire à vie est portée par le Réseau salariat.