Quand les libéraux organisent un « Sommet du bien commun », l’entreprise Pfizer devient le parfait bon Samaritain…
Saviez-vous que, les 1er et 2 juin 2023, s’est tenu à Toulouse le « 3e Sommet du bien commun » ? Si vous avez manqué cet événement, ne désespérez pas. Autant le dire d’emblée : vous n’avez pas raté grand-chose. C’est qu’à ce « Sommet », il n’y avait aucun de ceux qui pensent, travaillent ou agissent pour le bien commun : ni MSF, ni Oxfam, ni les Amis de la Terre (je n’ose écrire : ni Les Soulèvements de la Terre)… Non. Le « Sommet », comme à l’accoutumée coorganisé par la Toulouse School of Economics – dont le chef de file est Jean Tirole -, la revue Challenges et le journal Les Echos, ne comportait que des invités triés sur le volet, pour une écrasante majorité d’entre eux fervents zélateurs de l’économie de marché.
On y a parlé de choses graves. Notamment de celle-ci : la santé publique. Avec cette question au centre des interventions : « Logique financière et bien commun font-ils bon ménage, en particulier dans le domaine du médicament ? » Suivant le compte rendu de Challenges, la réponse à cette question, fournie par Reda Guiha, président de Pfizer France, une des grandes vedettes de ce sommet : « … cela ne fait aucun doute ». Selon lui, dont la parole est présentée comme définitive : « Le bien commun, pour une entreprise pharmaceutique, est un devoir. C’est même notre raison d’être, de trouver des médicaments innovants et d’assurer l’équité et la rapidité en termes d’accès aux patients. »
30 milliards de profits
Quid alors des 100 milliards de dollars de chiffre d’affaires et des 30 milliards de profits sur l’exercice 2022 de cette véritable cash machine qu’est Pfizer ? Quelles relations entre ces profits indécents, alimentés par la maladie, la misère et le fait que les trois-quarts de la population de la planète, et notamment les personnes les plus pauvres, n’ont pas eu accès à ces vaccins, dont les prix, prohibitifs, les excluaient par principe ? Où est le « bien commun » ici ? On ne le saura pas. C’est que ce « Sommet » n’est pas fait pour la confrontation d’idées. Il n’y a pas de contradicteurs.
Alors pourquoi l’organise-t-on ? La seule explication possible est qu’il s’agit, obstinément, de poursuivre le hold up idéologique d’un libéralisme à bout de souffle. Il s’agit, dans une opération de grande ampleur de commonswahing, d’enrober dans le langage du bien commun les vieilleries du libéralisme, et ainsi de tenter de circonscrire et d’annuler la portée d’une thématique – celle des communs – qui a été conçue et se déploie comme une alternative à ce libéralisme économique défendu par les organisateurs du sommet.
Benjamin Coriat, Économiste atterré