L’essor de l’intelligence générative grand public fait exploser la demande en électricité des centres de données, avec des conséquences en chaîne, désastreuses pour l’environnement.
Alors que le numérique devait réduire ses émissions carbone de 5 % par an jusqu’en 2030 pour respecter les accords de Paris de 2015, celles-ci ont augmenté chaque année d’environ 5 %. C’était déjà mal engagé, donc, mais voilà qu’aux dernières nouvelles, c’est pire que prévu : l’intelligence artificielle générative, rendue accessible au grand public, affole tous les compteurs de l’empreinte environnementale du secteur. Car ChatGPT et consorts ne vivent pas d’amour et d’eau fraîche. De l’eau fraîche, il leur en faut des quantités faramineuses, notamment pour refroidir leurs serveurs (1). Mais de l’amour, ils se contrefoutent : ce qu’ils réclament, c’est de l’énergie, sous forme d’électricité. En quantités forcément importantes, puisque cette technologie est énergivore par nature. « L’IA générative est un traitement statistique de données, nous rappelle Hugues Ferrebœuf, en charge du numérique au sein du Shift Project. Plus le volume de données sur lesquelles il travaille est grand, plus les paramètres qu’il prend en compte sont nombreux (2), et plus sa réponse sera pertinente. Mais plus la puissance informatique nécessaire à ce traitement sera importante. »
Sans oublier que pour séduire les utilisateurs, la réponse doit être générée rapidement – quelques secondes tout au plus. Comment y parvenir ? Là encore, en faisant appel à une puissance informatique élevée. « Finalement, la recette de l’ia générative repose sur une maximisation de la puissance informatique, explique Hugues Ferrebœuf. Or, jusqu’en 2010 environ, on savait à peu près l’augmenter sans augmenter sa consommation énergétique. Ce n’est plus le cas. »
Des milliers de milliards…
Sous nos yeux, cette technologie étend son domaine d’activité, est de plus en plus performante, compte un nombre d’utilisateurs croissant… La conséquence directe est « une explosion » de sa consommation énergétique. Les centres de données consomment déjà 2 % de l’électricité mondiale. Mais nous n’en sommes sans doute qu’aux prémices de la révolution IA, qui peut compter sur des investissements mirobolants. Ainsi l’Agence internationale de l’énergie (AIE) semble-t-elle se réjouir de constater que « les investissements mondiaux dans les centres de données ont presque doublé depuis 2022 et ont atteint un demi-milliard de dollars en 2024. » (3)
3 500 millions de dollars, juste en 2024, uniquement consacrés à des data centers ?! Oui Madame ! « La capitalisation boursière des entreprises du S&P 500 (4) liées à l’ia a augmenté d’environ 12 000 milliards de dollars depuis 2022 », se félicite encore l’AIE. Elle a bien dit 12 000 milliards ?! Oui Monsieur ! Allez, on reste avec l’Agence internationale de l’énergie pour comprendre comment tout cela se matérialise : « Un centre de données classique axé sur l’IA consomme autant d’électricité que 100 000 foyers, mais les plus grands centres en construction aujourd’hui en consommeront 20 fois plus. » Même pas besoin d’une assistance numérique pour faire le calcul : 100 000 x 20 = 2 millions. Et on parle bien de foyers, et non d’individus. Les Amazon, Google, Microsoft et autres construisent actuellement des data centers dont chacun consommera autant d’électricité que deux à trois fois la population de Paris (lire l’encadré ci-dessous). C’est autorisé, ça, en 2025 ? Apparemment oui.
Au portillon des centrales
Les incertitudes quant à l’évolution de la situation sont encore nombreuses, mais les principales projections effectuées à ce jour tablent, au minimum, sur une multiplication par deux de la consommation électrique des centres de données, et plus certainement par trois, à l’horizon 2030. Ce qui n’est pas rien, puisqu’ils avalent déjà 450 TWh par an, soit l’équivalent de la consommation de la France dans son ensemble – particuliers et industries. Il faut donc créer ou libérer l’équivalent de deux fois l’appareil productif français en moins de 5 ans, uniquement pour pouvoir nourrir la bête IA. À cet horizon, aux États-Unis, note encore l’AIE, « le pays devrait consommer plus d’électricité pour les centres de données que pour la production d’aluminium, d’acier, de ciment, de produits chimiques et de tous les autres biens énergivores réunis ».
D’un point de vue écologique, c’est encore plus problématique qu’il n’y paraît. En effet, la transition telle qu’elle nous est vendue – ou imposée – est critiquable sur bien des points (5), mais au moins se contente-t-elle, pour l’essentiel, d’électrifier des usages déjà existants, lesquels fonctionnaient jusque-là avec des énergies fossiles : mobilités, chauffage, etc. Ce qui n’est pas le cas de l’IA, qui vient faire peser une charge supplémentaire sur le système électrique, pour une technologie dont nous nous étions (très bien) passé jusque-là. Aujourd’hui, ça se bouscule tellement au portillon des centrales électriques que, dans certaines régions du monde, des arbitrages sont d’ores et déjà nécessaires pour éviter le black out. Exemple à Marseille : faute de les interdire, la municipalité espérait électrifier les bateaux de croisière pour éviter qu’ils continuent à tourner au fuel lourd lorsqu’ils sont à quai – chacun de ces mastodontes émet alors autant de particules fines qu’un million de bagnoles. Mais le projet n’a pas pu aboutir : les data centers s’étant accaparé toute l’électricité disponible, les bateaux de croisière continueront à cramer du fuel sous le nez des Marseillais·es.
Gaz et nucléaire
Il semble en tout cas hors de propos d’imposer quelque limite que ce soit aux géants de la tech. Mieux vaut foutre en l’air les amorces de transition. Ainsi, en Irlande et dans certaines régions étatsuniennes, où les centres de données peuvent déjà s’accaparer 20 à 30 % de l’électricité disponible, les autorités renoncent à la fermeture de centrales fonctionnant aux énergies fossiles, afin de pouvoir répondre à cette nouvelle demande, aussi subite qu’inattendue de par son ampleur. Les constructions en cours de méga-centres de données sont pour leur part de plus en plus systématiquement adossées à celles de nouvelles centrales, fonctionnant souvent au gaz naturel, car c’est le moyen de production pilotable le plus rapide à mettre en œuvre – et tant pis si c’est aussi l’un des plus polluants…
« Et une fois qu’une centrale est construite, elle fonctionnera pendant plusieurs dizaines d’années », prévient Hugues Ferrebœuf. Mais n’oublions pas que les communicants du secteur s’échinent depuis 30 ans à faire passer cette industrie pour une alliée de l’environnement. Alors, même si le numérique fait brûler du gaz d’un côté, il promet, de l’autre, de se « décarboner ». Comment donc ? À travers quelques douteux projets de géothermie, en développant des fermes solaires et éoliennes (qui ne décarboneront donc pas des activités déjà existantes), mais surtout en investissant massivement dans… le nucléaire, encourageant la construction de nouvelles centrales voire en les finançant directement. Les petits génies de la tech savent-ils qu’il est moins facile de stocker des déchets nucléaires que des vidéos de petits chats ?
Nicolas Bérard
1- En 2023, les seuls datacenter états-uniens (environ 45 % du total mondial) en ont consommé 66 milliards de litres (rapport United States Data Center Energy Usage Report, du Lawrence Berkeley National Laboratory, daté de 2024). Ce chiffre ne prend pas en compte l’eau utilisée lors de la fabrication des puces.
2- Pour avoir un ordre d’idée, ChatGPT-4 compte 1 000 milliards de paramètres.
3- Rapport Energy and IA, avril 2025.
4- Indice boursier basé sur 500 grandes sociétés cotées sur les bourses aux États-Unis.








