Multiplication des captations vidéos, fichage des visages, autorisation des caméras assistées par ordinateur… Prêts pour la reconnaissance faciale ? Une proposition de loi « relative à la reconnaissance biométrique dans l’espace public » est examinée en ce moment par les sénateurs.
La « loi JO », promulguée le 19 mai, autorise l’utilisation d’algorithmes pour analyser les images captées par les caméras de surveillance. C’est une première en Europe. Les ordinateurs reliés aux caméras doivent permettre, d’après leurs promoteurs, de détecter en temps réel des évènements prédéterminés, comme des mouvements de foule, un sac abandonné ou des « comportements suspects ». Avec l’appui des algorithmes, les capacités de l’État à surveiller l’espace public se voient démultipliées… à condition d’avoir des caméras qui filment !
Le 20 avril, un décret a été publié qui autorise l’utilisation des drones – équipés de caméras – par les policiers. La pratique existait déjà, on se souvient par exemple de l’utilisation de drones pendant la crise liée au Covid. Mais leur utilisation est désormais approuvée par la loi et permet aux préfets d’en faire usage de manière beaucoup plus fréquente. D’après un décompte du Monde, plus de 50 opérations de surveillance aérienne par drones ont été autorisées entre le 20 avril et le 20 mai. Manifestation écologistes, festival de Cannes, finale de la coupe de France de foot, raves parties, courses de voitures non autorisées, manifestations du 1er mai… L’État semble avoir déjà pris l’habitude de l’utilisation régulière de ces caméras volantes.
Et les drones ne sont pas les seuls à filmer. L’habitude semble également prise, côté forces de l’ordre, de filmer les manifestants depuis le sol. Celles et ceux parmi nous qui défilent régulièrement dans les grandes villes peuvent en témoigner. De manière générale, l’association La quadrature du net relève la multiplication et l’extension, « exponentielle », des moyens de captation : « caméras de vidéosurveillance fixes, caméras-piétons, caméras sur les véhicules, caméras dans les halls d’immeubles, hélicoptères de surveillance, drones de surveillance. »
DES GARDES À VUE POUR LE FICHAGE
Des algorithmes, des caméras pour leur fournir la donnée… Encore faut-il comparer les images captées avec une base de données… Depuis le début du mouvement contre la réforme des retraites, le recours aux gardes à vue abusives est régulier, sur l’ensemble du territoire. Plus de 2.500 personnes ont été placées en garde à vue, d’après le ministère de la Justice. Or, 80% des procédures liées aux personnes interpellées ont été classées sans suite.
Le 17 avril, Dominique Simonnot, la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, a écrit au ministre de l’Intérieur pour lui faire part de sa vive inquiétude concernant cette pratique policière pour laquelle il n’existe pas de voies de recours pour les individus concernés. Pour Claire Dujardin, avocate, membre de l’Observatoire des libertés et du numérique, « ces gardes à vue sont principalement effectuées pour les fichages. »
Après les prélèvements ADN – qui se poursuivent –, la prise de photo par smartphone, équipé d’un logiciel spécial, est une pratique en vogue dans les commissariats. Le visage redevient un moyen d’authentification à la mode. Et la tendance pourrait durer : le ministère de l’Intérieur a lancé un appel d’offres pour s’équiper de « fourniture de solutions de prises d’images faciales » pour un montant de 1,6 million d’euros. Ça fait beaucoup de smartphones…
Tout paraît donc avancer rapidement vers l’utilisation de la reconnaissance faciale. Pour l’heure, celle-ci est interdite. Au grand dam de certains députés, les algorithmes autorisés par la loi JO ne sont pas autorisés à travailler sur l’identification des visages. Et la loi limite à mars 2025, et aux manifestations « sportives, récréatives et culturelles » l’utilisation de ces caméras « intelligentes ».
Quant à l’utilisation massive des drones, elle n’est pas encore définitive : des associations de défense des libertés ont déposé plusieurs recours en justice pour obtenir l’annulation du décret d’avril. Il existe également des limitations au fichage systématique : les données recueillies ne peuvent pas être conservées par la police ad vitam æternam, a fortiori si les personnes ressortent libres de leur détention.
« RECONNAISSANCE BIOMÉTRIQUE DANS L’ESPACE PUBLIC »
Tout de même, s’il existe des garde-fous, l’évolution récente de la législation et des pratiques policières indique clairement l’objectif poursuivi par le ministère de l’Intérieur : tendre vers le risque zéro en renforçant la police préventive, c’est à dire en surveillant davantage les populations, et ceci grâce au recours aux nouvelles technologies, notamment celle de la reconnaissance faciale. Loi JO, drones et fichage sont autant de pièces d’un puzzle dont il ne manquerait qu’un élément. La loi qui sera débattue en première lecture au Sénat le 12 juin semble être l’élément final. Il s’agira en effet de la loi « relative à la reconnaissance biométrique dans l’espace public ».
Nous y sommes. Celle-ci vise à rappeler les grands principes des libertés publiques… et à « déterminer les cas d’usage [de reconnaissance biométrique] qui pourraient, par exception, être expérimentés. » Bref, à légaliser la reconnaissance faciale.
Texte : Fabien Ginisty
Illustration : Red!, pour L’âge de faire