Le chômage n’en finit pas de grimper et la précarité s’étend. L’austérité aggrave la situation, tandis que les palliatifs – du RMI jusqu’au RSA – ne réussissent ni à faire vivre décemment ceux qui sont privés d’emploi, ni à faciliter leur réinsertion. Un revenu de base inconditionnel serait-il une solution ? Trois sujets méritent attention.
On ne peut pas déconnecter la création de revenus du travail. Aucun revenu ne naît en dehors de la sphère du travail productif. Croire le contraire, c’est adhérer aux multiples fables de l’économie dominante. Pire, le risque est de renoncer à l’objectif du plein emploi de tous ceux qui souhaitent travailler, au motif que le travail ne serait plus un des facteurs d’intégration et de reconnaissance sociales.
Cette erreur conduit à laisser le champ libre aux projets libéraux de dérégulation toujours accrue du « marché du travail », dès lors que la collectivité prendrait en charge un revenu de base, dispensant les employeurs de verser des salaires décents.
Réduction continue du temps de travail
Pour être productive, toute activité doit recevoir une validation sociale. Pour être valeur, sous-entendu monétaire, le travail a besoin d’être validé, par le marché ou par décision politique. La décision d’apprendre à lire et écrire à tous les enfants est suivie d’un investissement public, d’une embauche de travailleurs qui vont produire la valeur des services répondant à cette demande sociale.
Tandis que le lien social, les diverses valeurs d’usage créées par les activités libres des individus constituent sans aucun doute une richesse collective, mais sa transformation en valeur ne peut résulter d’un choix individuel.(1)
La société peut instaurer un nouveau droit inconditionnel mais son respect sera subordonné à un transfert social, car un droit n’ajoute aucune valeur dans l’économie. Cela marquera une déconnexion entre travail et répartition mais pas entre travail et production : tout revenu étant un droit d’accès aux biens et services produits, il faut que cette production soit effective.
La proposition que la banque centrale verse des revenus aux citoyens n’a donc pas de sens, puisque la production dont ils devraient résulter et qu’ils achèteraient n’existe pas.
Est-ce à dire qu’on ne peut rien contre la dégradation causée par le capitalisme ? On peut beaucoup, à condition de ne pas renoncer au plein emploi dans le cadre d’un nouveau modèle productif de qualité et d’une réduction du temps de travail continue. Dans l’urgence, la revalorisation desdits minima sociaux pour s’approcher du SMIC serait une transition indispensable.
Par Jean-Marie Harribey, économiste atterré.
1 – J.-M. Harribey, La richesse, la valeur et l’inestimable, LLL, 2013