C’est le livre le plus vendu de l’année 2022 : Le Monde sans fin. Problème : cette bande dessinée est un véritable outil de propagande pour l’énergie nucléaire.
Le succès de la BD Le Monde sans fin constitue tout à la fois une excellente et une très mauvaise nouvelle. Pour cause : cet ouvrage est à la fois excellent et très mauvais…
L’excellent se trouve en première partie, dans laquelle le dessinateur Christophe Blain illustre avec humour et talent les propos de Jean-Marc Jancovici, mettant en lumière notre dépendance au système énergétique. Les auteurs y rappelent notamment qu’il n’y a jamais eu de transition énergétique depuis le début de l’ère industrielle : au bois s’est ajouté le charbon, puis le pétrole, le gaz, l’hydroélectricité, avant que ne débarquent le nucléaire et les énergies renouvelables.
Résultat : en multipliant les sources, nous avons démultiplié notre consommation d’énergie. Nous serions ainsi devenus des sortes d’Iron Man qui s’ignorent, avec à notre service des super pouvoirs offerts par les machines que nous avons à notre service. Ou encore des nababs entourés de centaines d’esclaves invisibles : un tracteur offre la force de travail de 600 humains, un avion équivaut à la puissance d’un million de personnes.
Pour limiter le dérèglement climatique, nous devons diminuer drastiquement notre consommation d’énergies fossiles, alors que toutes nos activités ou presque en dépendent. Et il ne s’agit pas seulement des voyages en avion : l’hôpital représenterait aussi, à lui seul, 5 % de l’empreinte carbone française.
L’ouvrage n’aborde pas les questions de partage des richesses, de services publics ou de la publicité indispensable au modèle consumériste. Selon la vision très discutable qu’il véhicule, notre niveau de vie ne dépendrait que d’un unique paramètre : notre consommation d’énergie. Si elle baisse, adieu la santé, les loisirs, les retraites, bonjour les grandes migrations, les guerres, les famines…
L’ENFER OU LE PARADIS… NUCLÉAIRE
C’est alors que tout bascule. Nous sommes page 128, et Christophe Blain lance à son interlocuteur : « Je sens que tu vas me vendre des centrales nucléaires. » Bien vu ! Après leur avoir promis l’enfer, Jancovici offre à ses lecteurs et lectrices une planche de salut : le nucléaire. « L’enjeu fondamental de cette discussion est de remettre les problèmes dans l’ordre », promet alors notre nucléocrate, qui s’apprête à faire exactement l’inverse.
Tchernobyl ? Fukushima ? Ces catastrophes résultent d’erreurs humaines ou de défauts de conception, alors que les centrales françaises, elles, sont parfaitement sûres. Rappelons ici que toutes les centrales du monde sont réputées parfaitement sûres… jusqu’à ce qu’elles pètent !
Quand il aborde les conséquences de ces désastres, la propagande jancoviciesque se muscle encore un peu. Selon lui, que ce soit au Japon ou en Ukraine, les catastrophes nucléaires en elles-mêmes n’auraient provoqué qu’une poignée de morts et quelques milliers de cancers facilement soignés.
Les effets les plus dévastateurs sont ceux causés par « la panique et la peur de la radioactivité ». Il oublie de dire que, si les gens ont fui, c’est qu’ils avaient de bonnes raisons de le faire. Jancovici serait-il resté peinard dans son hamac à côté d’une centrale en feu ?
En roue libre, le bonhomme va jusqu’à avancer des effets bénéfiques de ces catastrophes : « Tchernobyl est devenu une réserve naturelle où vivent de grands animaux qui avaient quasiment disparu. » Formidable. Mais cela a été rendu possible par l’évacuation des humains, abandonnant dans la zone les vestiges de leur société industrielle, dont les centrales nucléaires sont un fer de lance. Autrement dit, c’est bien le nucléaire et son monde qui ont dézingué les
animaux, à Tchernobyl comme ailleurs, et leur disparition qui a permis leur retour. Cela paraît évident, mais après avoir bouffé 192 pages de Jancovici, il est toujours utile de « remettre les problèmes dans l’ordre ».
Nicolas Bérard