Plutôt que les scores, la pédagogie Freinet appliquée à l’EPS valorise les stratégies collectives et les solidarités. Comme dans les autres matières, cette façon d’enseigner invite les enfants à chercher et créer à partir d’une proposition ou d’un problème qui se pose à eux.
Article publié initialement en mars 2018
« On est tous forts », a dit un jour une petite fille de la classe maternelle-CP de Nathalie Lozinguez, institutrice au village de Villard-Saint-Christophe, en Isère, et pratiquant la pédagogie Freinet. Comment les enseignants membres de l’Icem (Institut coopératif de l’école moderne), qui s’inspirent des travaux de Célestin Freinet et cherchent à stimuler la coopération entre enfants, abordent-ils l’éducation physique et sportive (EPS) ? En tâtonnant et sans vérité établie, comme souvent au sein de ce courant présent essentiellement dans les écoles publiques. D’autant que le sport n’est pas le sujet de prédilection du mouvement : « Nous avons peu d’écrits sur l’EPS par rapport aux autres activités », remarque Gaëtane Bouchet, maîtresse en CE1-CE2 à Échirolles, près de Grenoble. Pour Nathalie Lozinguez, « l’EPS est comme les autres matières. On va favoriser l’expression, la création, la recherche et le tâtonnement expérimental. Plutôt que d’une consigne fermée, on part d’une situation qui pose un problème aux élèves. Ce qu’un enfant trouve, il le montre au groupe, et ensemble ils imitent, approfondissent, construisent quelque chose ». Les enfants sont habitués, de par le fonctionnement de la classe, à faire des propositions en fonction de leurs centres d’intérêt et de ce qu’ils connaissent. Cela peut aller de la reproduction d’un tir de footballeur vu à la télévision (Comment orienter le pied ? Quelle vitesse lui donner ?…) aux différentes manières de porter un plateau de serveur de café, en passant par les diverses utilisations d’un agrès de gymnastique.
CONTRE « L’ÉCOLE ASSISE »
En pédagogie Freinet, le corps est pris en considération quels que soient les apprentissages : « La poésie parle au corps autant qu’à la tête » ; « l’étude du milieu passe par la sollicitation des sens » ; « la ruche/classe autorise l’enfant à des déplacements libres » (1). En 1961, alors que les exercices de « maintien » devenaient obligatoires dans les programmes scolaires, Célestin Freinet défendait la liberté de mouvement des élèves contre cette « forme nouvelle de militarisme » : si les enfants peuvent bouger, exercer leurs gestes, apprendre par le travail manuel autant qu’intellectuel, il n’y a pas besoin de séances de maintien. « Nous supprimons une forme d’école non naturelle, qui institue et cultive la passivité intellectuelle, une école assise qui interdit aux enfants le minimum de mouvements indispensables, une école qui fabrique automatiquement les colonnes vertébrales effondrées et les épaules déséquilibrées », écrivait l’enseignant (2).
Tout en évitant de mettre les élèves en compétition, le mouvement Freinet emprunte des éléments au sport, par exemple la notion de brevets ou de niveaux à atteindre, qui se matérialisent par des couleurs inspirées des ceintures du judo et peuvent concerner autant l’éducation physique que les mathématiques ou la conjugaison.
ALLER VITE… ET ARRIVER EN MEME TEMPS
Dans chacune des disciplines sportives abordées, la solidarité est valorisée. « En course, on trouve le moyen d’aller le plus vite possible… et d’arriver en même temps, souligne Nathalie. Au niveau physique, ça fait travailler les mêmes choses que si on veut gagner. » Dans Le Nouvel Éducateur, la revue de l’Icem, des enseignants décrivent le système sophistiqué de course par équipes qu’ils ont conçu. Dans chaque équipe, une dizaine d’enfants, du CP au CM2, se relaient pour courir, à eux tous, 42 km. Chaque enfant décide lui-même du nombre de tour qu’il fera, dans la fourchette correspondant à son âge. Les grands ont la possibilité de courir seuls, ou en accompagnant les petits pour les encourager. Et lorsqu’un grand a fini de soutenir les petits de son équipe, il peut aller en aider une autre !
Dans les jeux collectifs où la confrontation entre deux équipes est inévitable, le score passe au second plan, et l’accent est mis sur « le rapport aux règles, les stratégies à l’intérieur des jeux. On met en valeur les différentes façons de faire », explique Nathalie. « On les incite à observer, à chercher quels sont les gestes efficaces », ajoute Gaëtane.
FREINET… OU PAS FREINET ?
La pédagogie Freinet a ses disciplines favorites : la danse, le cirque, l’expression corporelle sont propices à la création des enfants. « Ils vont ensuite reproduire, s’entraîner, répéter, photographier, dessiner ce qu’ils ont inventé… Nous avons eu des correspondances très intéressantes avec d’autres classes sur des projets de danse, en s’envoyant des musiques, des vidéos et des photos », indique Gaëtane. Dans d’autres écoles, la grande affaire du moment, ce sont les rollers, à la demande des enfants qui ont constitué un stock de patins, et se sont appris les uns les autres à rouler. « Au-delà de l’audace et de la coopération, les activités de glisse permettent un élan vers la vie, écrit Véronique Decker, directrice d’école à Bobigny (1). Il faut se lancer, comme il faut se lancer pour apprendre et en roller, les progrès sont spectaculaires. En quelques séances, les enfants prennent confiance en eux, roulent, tournent, s’arrêtent et peuvent déjà jouer ensemble, danser ensemble, et quelques séances encore pour manier les crosses de hockey, tout va très vite. Maintenant, présenter un spectacle roller pour la fête de fin d’année est entré dans la tradition de plusieurs classes. »
Pour Gaëtane, l’EPS est « un levier important pour travailler sur l’égalité garçon/fille » et favorise les questionnements des enseignants sur les notions de coopération et de compétition. Mais cela n’est pas l’apanage d’un courant pédagogique. Freinet ou pas Freinet, « un bon pédagogue en EPS ne va pas forcément induire de la compétition, précise Gaëtane. On dit bien « EPS », et pas « sport ». Cette distinction joue un rôle important dans l’histoire de la profession. » En poste en zone urbaine sensible, l’enseignante a l’habitude de travailler avec un Etaps (Éducateur territorial des activités physiques et sportives). « Le co-enseignement est intéressant. Je suis amenée à nuancer certains propos de l’éducateur, mais il suit les enfants du CP au CM2. Il les connaît bien, les voit sous un autre angle que celui de la classe et remarque des progrès qu’on n’avait pas forcément vus. »
Lisa Giachino
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1 – Le Nouvel Éducateur, dossier « Le corps, le sport, mais encore ? », décembre 2016, à feuillet ou commander sur www.icem-freinet.fr
2 – L’Éducateur, février 1961.