Alors que le foot semble n’être plus qu’un vaste business, des clubs, des associations, des supporters se battent pour (re?)faire de ce sport un jeu populaire dont le principal objectif serait le plaisir.
S’il est une discipline représentative de la dérive financière du sport, c’est le foot. Aussi parce qu’il est, selon l’expression consacrée, « le sport populaire par excellence ». Dans « Comment ils nous ont volé le football » (1), Antoine Dumini et François Ruffin dressent l’historique des grandes secousses ayant amené le foot, en un peu plus d’un siècle, à ce qu’il est aujourd’hui : un spectacle planétaire qui brasse chaque année des centaines de milliards d’euros (2).
Les auteurs situent l’une des grandes accélération dans les années 70, avec l’élection de l’homme d’affaires Joao Havelange à la tête de la Fifa – la fédération internationale du foot.
L’une de ses premières actions a été de signer des partenariats avec Adidas et Coca-Cola.
Puis, il a mené une politique d’expansion pour répandre le foot aux quatre coins de la planète.
Dans les années 1980, les riches hommes d’affaires débarquent dans le foot : Berlusconi en Italie, Murdoch en Angleterre, Tapie en France… À cette même époque, les revenus tirés des droits TV commencent à grimper. « En 1980, un club pro vivait de ses ventes de billets, de ses fanions et de ses baraques à frites. Les droits TV ne représentaient que 1 % de ses recettes – contre plus de 50 % aujourd’hui. » Pour le championnat français, ces droits se montent aujourd’hui à 726 millions d’euros par saison.
AU FC MANCHESTER, UN SUPPORTER ÉGALE UNE VOIX
C’est en Angleterre, berceau du foot, que la marchandisation va le plus vite. Manchester United, club le plus riche du monde, illustre cette évolution. C’est lui qui, le premier, a fait son apparition en Bourse, dès 1991. En 2005, le club a été racheté par un milliardaire états-unien pour, selon ses propres dires, « faire du profit grâce à cette franchise ». Entre temps, le prix des places pour accéder au stade a explosé : il a été multiplié par huit en vingt ans, devenant inaccessible pour les classes populaires. Et ce qui est vrai outre-manche l’est ailleurs. En France, l’arrivée d’un groupe qatari à la tête du club parisien a placé le pays au même niveau que ses voisins. Certains dénoncent désormais un foot-ball « dénaturé », « pourri par l’argent », n’étant plus le « jeu populaire » qu’il était.
Pour le sociologue Nicolas Oblin, ce constat s’appuie sur une vision fantasmée du foot, qui « n’est pas dénaturé par le capitalisme car il en est, au contraire, une des réalisations les plus abouties » (3). Le sport serait presque génétiquement lié à l’argent. Vouloir changer le système de l’intérieur serait donc peine perdue. Certains, pourtant, tentent le coup.
Il faut retourner à Manchester pour y trouver l’un des exemples les plus aboutis. Le rachat de leur club par un milliardaire a provoqué la colère des supporters, qui se sont sentis floués. Environ 5 000 d’entre-eux se sont donc réunis pour créer leur propre club, le FC United of Manchester. « Parmi nous, beaucoup de supporters, des familles entières, supportent [Manchester United] depuis des décennies et n’ont tout simplement plus les moyens de s’y rendre aujourd’hui, explique Andy Walsh, le président du nouveau club. Le football doit-il se vendre au plus offrant ? Je ne le crois pas et avec moi ils sont très nombreux à le penser. » (1) La charte du club établit notamment que les supporters élisent le conseil d’administration sur la base d’« un individu égale une voix », que le prix des adhésions devra rester « aussi abordable que possible », que « le conseil s’efforcera d’éviter toute commercialisation »…
TATANE ET LE « FOOT SILENCE »
En France, il existe aussi quelques clubs construits autour de valeurs de partage et de solidarité [lire par exemple ci-dessous]. L’association Tatane (4), elle, milite pour un foot « joyeux et durable ». « On a créé cette association en 2010, à une période où on constatait un
vrai rejet du foot, surtout suite à l’épisode du bus de Knysna (5). Des éducateurs sportifs se détournaient carrément du foot. Nous, on a estimé qu’on devait se réapproprier ce sport », explique Mathieu Pradel, responsable de l’originale école de foot de Tatane. Une spécificité de cette école : les joueurs définissent eux-mêmes certaines règles. Ils pourront par exemple faire une partie de « foot silence » (le premier qui parle perd un point), jouer avec les mains dans les poches, en marchant… Les possibilités sont infinies.
Tatane co-anime en ce moment dans le quartier parisien de Belleville un atelier avec des danseurs de hip-hop. « Dans un premier temps, les jeunes vont mettre au point des chorégraphies avec les danseurs. Et ensuite, l’une des règles consistera à faire une belle célébration collective en cas de but ! L’idée qu’il y a derrière, c’est de décaler l’objectif,
faire diversion pour ne plus être obnubilé par la victoire. Car trop de compétition peut instaurer une pression, même à bas niveau, et tuer l’amour du jeu. Nous, nous voulons remettre la passion et le plaisir au centre du terrain. »
Nicolas Bérard
1 – Comment ils nous ont volé le football, d’Antoine Dumini et François Ruffin, Fakir Éditions.
2 – On évalue le chiffre d’affaires du foot mondial à 400 milliards d’euros.
3 – Pourquoi nier le mal sportif ?, de Nicolas Oblin, éd. Le bord de l’eau.
4 – www.tatane.fr
5 – En pleine Coupe du monde de 2010, les joueurs de l’équipe de France s’étaient mis en grève pour d’obscures raisons et avaient refusé de descendre du bus pour aller s’entraîner.