Le Service de soins infirmiers à domicile donne la possibilité aux personnes âgées handicapées ou malades, de vivre leur vieillesse chez elle. Cette solution permet d’instaurer une prise en charge de qualité. Reportage dans les Hautes-Alpes.
Sept heures du matin, le bourg de Laragne-Montéglin dort encore. Alicia, au volant de sa voiture de fonction, se dirige chez Mme G.. Sa première patiente de la journée est hémiplégique depuis 12 ans, et a fait appel au Service de soins infirmiers à domicile (Ssiad) de son secteur. Quand Alicia passe le seuil de la porte, Mme G. l’attend dans son lit médicalisé. Elle a le visage fermé et paraît lasse de ses douleurs quotidiennes et de son handicap permanent. C’est une femme corpulente, au contraire d’Alicia. Mais les 12 années d’expérience d’aide-soignante ont appris à celle-ci les bons gestes. Elle tire les draps sur le côté, emportant les jambes de la patiente en dehors du lit. Mme G. essaie de se lever tout en s’appuyant sur Alicia, qui l’aide à se redresser. La vieille dame se plaint de maux de ventre et s’en va sur le trône. En l’attendant, Alicia lui prépare son petit déjeuner, qu’elle accepte de prendre à condition qu’elle ait ses trois petites cuillères sur la table, pas une de moins :
Comme beaucoup de nos patients, elle a ses rituels quotidiens auxquels il ne faut pas déroger, précise Alicia. Au Ssiad, nous veillons à respecter leurs habitudes, quelles qu’elles soient, pour qu’ils sentent que nous sommes dans l’accompagnement.
Pour se lever de sa chaise dans la salle de bain, Madame G. prend appui sur le radiateur couvert d’une serviette. Il faut que ce soit la bleue, sinon elle demande à Alicia de la changer.
Mme G. a bien d’autres petites manies, comme celle de s’attarder sur les toilettes. Alicia la presse un peu, tout en restant très attentive à ses envies : elle vérifie si l’eau de la douche est à bonne température, lui demande si elle a passé une bonne nuit, lui laisse choisir ses vêtements. Malgré ces petites attentions, Mme G. garde le visage fermé et parle très peu, à cause de sa maladie qui lui paralyse la moitié du visage. « Quand on ne peut plus rien faire, on doit recourir à quelqu’un pour tout », confie Mme G. Elle vit seule et ne sort jamais de chez elle. En dépit de son handicap, elle tient à faire tout ce qu’elle peut pour garder l’autonomie qui lui reste. Chaque jour, elle fait les quelques pas et les gestes qui facilitent ses soins. « De nombreuses personnes âgées ne font pas autant d’efforts », constate Alicia.
Rester chez eux, jusqu’au bout
Dans le même immeuble, Alicia monte à l’étage pour retrouver sa deuxième patiente, Mme R., qui souffre de démence sénile. Son visage s’illumine lorsqu’elle aperçoit Alicia qui l’accompagne dans sa chambre et la déshabille. L’aide-soignante découvre plusieurs bleus sur le corps menu de sa patiente, dont un gros hématome à la cuisse. Alicia s’interroge sur leur origine. La réponse ne viendra pas de Mme R., qui donne l’impression d’être dans les nuages. La vieille dame a un regard innocent qui se pose sur Alicia avec affection. Celle-ci lui frotte le dos et le corps avec un gant chaud. Elle lui masse les pieds ainsi que les fesses, car ce sont des zones où se développent rapidement les escarres. Ces plaies dues à une position assise ou allongée prolongée, peuvent empirer et devenir dangereuses si on ne les masse pas régulièrement. Avant de partir, Alicia remplit une fiche récapitulative de soins et d’observations qui indique le pouls de la patiente, sa prise de médicaments et d’autres détails sur les actes pratiqués.
La tournée du matin se poursuit avec Mme S. qui vit avec son mari. Cette vieille dame obèse peine aussi à se déplacer. Elle présente un œdème très important au bras droit, à tel point qu’elle doit couper la manche de sa chemise de nuit pour pouvoir l’enfiler. Mais elle garde de l’énergie et semble avoir un fort caractère, pas du genre à se laisser aller.
On a notre tête avec mon mari. Et c’est moi qui fais à manger chez moi. Alors, ce n’est pas de la grande gastronomie mais c’est toujours ça. Et puis, mon mari m’aide aussi, et l’on m’apporte mes courses.
Ces deux tourtereaux, âgés de 86 et 89 ans, sont mariés depuis 62 ans. Ils sont encore complices. « C’est mon époux qui a demandé que mon lit médicalisé soit installé dans la chambre, juste en face du sien. » S’ils ont fait appel au Service de soins infirmiers à domicile, c’est pour rester chez eux, jusqu’au bout.
« On faisait avec un bout d’chiffon »
Mme S. ne se plaint pas. Quand Alicia lui parle de ses membres enflés, elle répond qu’elle a connu pire. Elle ne gambade pas comme à 20 ans, mais elle marche, à l’aide de son déambulateur. Il y a quelque temps, elle s’était cassé le col du fémur, fracture courante chez les personnes âgées. « Je suis restée couchée dans mon lit pendant 152 jours. Quand j’ai pu enfin remarcher, le médecin m’a dit que c’était un miracle. Si je n’avais pas tenu durant autant de semaines sans bouger, je serais paralysée aujourd’hui. » Mme S. revient souvent sur cette histoire. « Les patients nous racontent fréquemment les mêmes anecdotes. Ils s’accrochent à leurs souvenirs, car leur quotidien est devenu monotone. Certains sont tellement isolés que nous sommes quasiment les seules personnes qu’ils vont rencontrer au cours de la journée. » Cette situation peut les amener à se sentir exclus de la société et à se laisser mourir. C’est ce qu’on appelle dans le jargon médical, le syndrome de glissement. L’abandon peut être alors dangereux. Les personnes ont besoin qu’on leur porte de l’intérêt et de l’attention, qu’on les fasse rire, qu’on leur raconte des histoires et qu’on écoute les leurs.
La dernière patiente de la matinée est une ancienne aide-soignante qui vit seule dans sa grande maison. Une bonne odeur flotte dans sa cuisine. Cette belle mamie aux yeux bleus arbore un sourire charmeur. Elle a fait appel au Service de soins, il y a 8 ans, après être tombée malade. Elle est aussi aidée par son fils, qui n’habite pas loin de chez elle. Elle porte au poignet une téléalarme qui lui permet d’appeler un numéro d’urgence en cas de problème. « Quand j’étais aide-soignante, il y avait beaucoup moins de moyens qu’aujourd’hui. On faisait avec un bout de chiffon ! » Elle apprécie de bénéficier d’un lit médicalisé, d’une barre d’appui dans la salle de bain et les toilettes, d’une chaise percée, etc. Si les conditions matérielles ont changé, les qualités pour exercer ce métier restent les mêmes.
« Il faut avant tout être bienveillante, savoir écouter, observer, et être patiente », explique Alicia qui apprécie le service à domicile, car il permet de passer du temps avec les patients. « Leur nombre ne va jamais au-delà de six pour une matinée, dans un périmètre de 20 km autour de Laragne-Montéglin. » Rien à voir avec ce qu’elle a connu à l’Éhpad (Établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) où elle a travaillé.
En une matinée, je devais m’occuper de 10 à 15 patients. La nuit, j’étais seule pour prendre soin de 60 personnes. Au bout d’un certain temps, j’ai craqué. Je ne voulais plus entendre parler du métier d’aide-soignante. Il y avait beaucoup de turn-over et épuisement au travail dans cette Éhpad. Le personnel n’en pouvait plus. En comparaison, le Ssiad, c’est un vrai bonheur. Quand on a fini sa journée, on a le sentiment d’avoir pu faire un travail de qualité et de façon humaine. C’est pas du travail à la chaîne. On peut prendre en charge chaque patient de façon adaptée et personnalisée. Une vraie relation se tisse au fil du temps.
Les personnes âgées de plus de 60 ans, malades ou en perte d’autonomie peuvent bénéficier, sur prescription médicale, des prestations d’un Service de soins infirmiers à domicile (Ssiad), assuré par une structure publique ou privée. En cas de handicap ou de maladie chronique, le Ssiad peut s’adresser à des personnes âgées de moins de 60 ans. Ce service peut intervenir 7 jours sur 7, si nécessaire, ponctuellement ou sur de longues durées. Ses interventions – toilettes, pansements, prises de médicaments, injections… – sont réalisées par des aides-soignant·es et des infirmiers·ières. Elles sont prises en charge intégralement par l’Assurance Maladie. Créé en 1981, le Ssiad permet de prévenir la perte d’autonomie des personnes âgées, lutter contre l’isolement, faciliter leur retour à domicile après une hospitalisation, retarder une entrée dans un établissement d’hébergement. Le Ssiad coordonne également les interventions des différents intervenants médicaux et para-médicaux : service d’aide à domicile, kinésithérapeute, médecin, etc. Pour être soigné à domicile, il est possible aussi de faire appel à un Spasad (Services polyvalents d’aide et de soins à domicile), à un infirmier libéral…
Paola Tardy
Au sommaire du numéro 145
- Edito Jamais assez ! / Elle veut gagner la bataille contre les pesticides
- Climat Un coup de chaud ? La chaux !
- Bolivie la lutte des travailleuses domestiques / L’entretien « Tout le monde déteste Amazon »
- Doc La part sauvage de Greenpeace / BD la philo par le rire / Ma petite entreprise : la mécanique du cœur / Cinéma Tënk
- Reportage en Malaisie, au cœur de la forêt
- Petite géographie du palmier à huile
- Actu À Athènes, « Ne touchez pas à Exarcheia ! » / Grrr-ondes La belle carrière de NKM / Economistes attérrés
- Lorgnette Une matinée avec Alicia, aide-soignante à domicile / Les pêcheurs du Buëch prennent la mouche
- L’atelier Opération zéro déchet ! / Au jardin / Couture & Compagnie / Le coin naturopathie
- Forum / Mots Croisés
- Fiche pratique : faire son papier recyclé
- Maison commune
DOSSIER 4 pages :
Travail social : c’est pas triste !
Le travail social, comme tous les autres, souffre des restrictions budgétaires, de la « rationalisation », de la montée en puissance des gestionnaires. Jeunes professionnelles, Maeva, Audrey et Odeline ne s’y résignent pas. Pendant six mois, elles ont visité des lieux où l’accompagnement des personnes fragiles reste ancré dans l’utopie. Nous avons conçu ce dossier avec elles, et nous vous racontons ces endroits où le travail social se construit au fil de l’humain, de façon résolument artisanale.