Les gardes-champêtres sont en voie de disparition. La France n’en compte plus qu’un petit millier, contre près de 30 000 en 1958. Ces agents communaux assermentés pour faire respecter les règles concernant la route, l’urbanisme, l’utilisation de l’eau et la protection de l’environnement en milieu rural, laissent place aux policiers municipaux, dont les effectifs ont suivi la courbe inverse – ils sont aujourd’hui plus de 21 000 et font l’objet d’un recrutement intense.
Dans de nombreuses villes, le discours sécuritaire s’est installé lors des élections municipales de 2001. Il a été suivi du développement de polices municipales offensives, de plus en plus souvent armées, et de l’installation de caméras de surveillance. À présent, le sujet s’invite dans les petites communes. Pour ces élections municipales, certains candidats promettent d’armer la police locale – quand bien même celle-ci ne comprend qu’un, deux ou trois individus.
Le port d’armes à feu chez les policiers municipaux se banalise – ils sont plus de la moitié à en arborer une, contre 39 % fin 2015. Uniforme, gilet pare-balles, pistolet et matraque en évidence… On est loin du garde-champêtre, et on ne voit plus vraiment la différence avec la police nationale et la gendarmerie…
Ce risque d’ambiguïté a longtemps fait débat. Alors que depuis le milieu du XIXe siècle, l’État avait peu à peu pris en main l’ensemble des missions de sécurité, les polices municipales ont fait leur retour à partir des années 80, rappelle le sociologue de la délinquance Laurent Mucchielli (1). Elles répondaient notamment au manque de présence sur le terrain de la police et de la gendarmerie nationales. En 1982, le député socialiste Bonnemaison propose que les collectivités locales prennent en charge des missions de surveillance (circulation et stationnement, entrées et sorties d’écoles) pour libérer du temps à la police nationale et à la gendarmerie qui pourraient ainsi se réinvestir sur le terrain. Cette proposition est approuvée par la Commission des maires de France… mais seule la première partie du contrat sera remplie. Les quelques tentatives de développer une police en contact quotidien avec la population vont être balayées par le tout-répression, la volonté de privilégier les actions spectaculaires et le management par le chiffre, portés notamment par le ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy. Une fois élu président, en 2007, celui-ci réduit le nombre de fonctionnaires et transfère de nouvelles missions vers les municipalités et le secteur privé. Dès lors, l’État n’a fait qu’encourager le développement d’une police municipale qui imite la police nationale.
De nombreux élus, pris en tenaille entre le discours sécuritaire et la baisse de moyens des forces nationales, tombent dans le panneau. Localement, cela se traduit par des sommes exorbitantes investies dans des caméras (même si celles-ci sont cofinancées par l’État), l’achat d’armes et de gilets pare-balles. La privatisation de la police passe aussi par l’emploi de vigiles, placés par exemple devant les écoles dans les moments de peur post-attentat, et par l’adhésion des communes au dispositif « Voisins vigilants ».
Ce débat aujourd’hui tronqué, nous devons nous en emparer dans nos communes pour obliger nos élu·es à prendre du recul. Voulons-nous que les enfants croisent quotidiennement des individus armés à la sortie de l’école ? Quel usage plus efficace pourrions-nous avoir de l’argent investi dans des caméras ? Quelles réponses la collectivité peut-elle apporter au sentiment d’abandon exprimé par les personnes qui s’inscrivent aux Voisins vigilants ? Autant de problèmes qui ne doivent se résoudre par la simple reproduction de recettes sécuritaires toutes faites.
Lisa Giachino
1 – L’évolution des polices municipales en France : une imitation des polices d’État vouée à l’échec ?, Laurent Mucchielli, revue Déviance et Société, 2017/2 (Vol. 41), en accès libre sur www.cairn.info
Au sommaire du numéro 150
- Édito : Le débat tronqué sur la police municipale / Saillans, ou la démocratie expérimentale
- Bière + pain : la brewlangerie !
- Femmes en lutte une création collective contre les meurtres d’amérindiennes / Entretien enseignement : « La profession n’a jamais été aussi énervée ! »
- Projet Iter / Lessive à la cendre
- Reportage / la nouvelle vague des magasins participatifs / Carte
- Carte de la presse pas pareille
- Actu / Assange / Huile de palme, le gouvernement plie face à Total
- Économistes atterrés : Réforme des retraites : quand la technocratie prend la main
- Lorgnette Zehra Doğan : l’art et la liberté plus forts que toutes les chaînes /
- 5G mon amour, extrait
- L’atelier Opération zéro déchet ! / au jardin / Couture & Compagnie / Le coin naturopathie
- Fiche pratique La tour à patates
- Diffusez L’âge de faire dans les campings
Jeunes des années 2020
Muriel est partie avec trois sous en poche en Palestine pour y rencontrer des paysans, Billel fait des maraudes pour porter des repas aux sans-abri, Noémie organise des ateliers autour de la décolonisation avec des adolescents, Geronimo documente la lutte des Gilets jaunes, Tristan part à la recherche de géants… Ils n’ont pas 25 ans mais construisent déjà un monde plus juste et joyeux. Rencontres.