« Il fallait que ça s’arrête », explique Béatrice Ibéné, de l’Association pour la sauvegarde et la réhabilitation de la faune aux Antilles (Asfa). Dans notre précédent numéro, nous vous expliquions comment l’Asfa, en collaboration avec d’autres associations, avait torpillé l’épandage aérien dans les Antilles. Leur mode d’action, néanmoins, nécessitait une vigilance de chaque instant : il fallait surveiller l’action des préfets locaux afin d’attaquer devant le tribunal administratif chaque arrêté d’autorisation d’épandage qu’ils signaient. Comme elles remportaient victoire sur victoire, l’épandage était, de fait, paralysé aux Antilles. En Guadeloupe, cette technique de pulvérisation aérienne semble même être de l’histoire ancienne : les agriculteurs ont revendu leurs petits avions cracheurs de pesticides.
Mais les associations ont décidé d’aller plus loin : plutôt que de lui couper les bras – qui repoussaient sans cesse… –, elles se sont attaquées à la tête de la créature… Elles ont ainsi déposé un dossier devant le conseil d’Etat afin de faire annuler le décret du ministère, celui-là même qui permet aux préfets de signer « des dérogations temporaires » à l’interdiction européenne de cette pratique. Rappelons que ces « dérogations » étaient rendues possibles pour une durée annuelle de 12 mois (!) pour la banane, mais aussi de 3 mois pour le maïs, 4 mois pour la vigne et 5 mois pour le riz. En s’attaquant à l’arrêté, l’action juridique de l’Asfa ne concernait donc plus uniquement les Antilles, mais bien l’ensemble du territoire français.
Un dossier « très sensible »
“Certaines organisations nous ont déconseillé de mener une telle action, car elles estimaient qu’avec nos petits moyens, nous avions peu de chances de gagner face au ministère de l’Agriculture.” dit Béatrice Ibéné. Mais les militants ne se sont pas découragés. “On avait acquis une telle connaissance du danger sanitaire que représente cette pratique… Nous ne pouvions pas faire autrement que d’aller jusqu’au bout de notre démarche, pour en faire profiter l’ensemble de la population. C’était devenu une question de responsabilité.” Les petites associations ont donc bel et bien attaqué l’arrêté, et se sont cotisées pour payer le billet d’avion et la chambre d’hôtel afin que la présidente de l’Asfa puisse être présente à l’audience pour le jugement en référé du 28 avril.
Dès le début de l’audience, la présidente a signalé qu’il s’agissait d’un dossier “très sensible” et qu’elle allait donc prendre tout son temps pour bien le comprendre.
Le 6 mai, après avoir entendu les arguments de chacun, le conseil d’Etat a rendu sa décision : l’arrêté du ministère est suspendu ! En attendant le jugement sur le fond, plus aucun épandage aérien ne peut donc se faire en France, ni outre-mer, ni dans l’Hexagone. Les magistrats ont notamment estimé que l’épandage portait « une atteinte suffisamment grave et immédiate à la santé et à l’environnement » pour justifier une situation d’urgence. Mais aussi que l’arrêté « méconnaît les principes constitutionnels de précaution ».
Dernière étape du marathon juridique : le jugement sur le fond, qui pourrait aboutir à l’annulation pure et simple de l’arrêté. Fin mai, la date d’audience n’avait pas encore été fixée. Mais l’Asfa commence déjà à aiguiser ses arguments, notamment en se rapprochant de certaines organisations ou syndicats : si elle connaît parfaitement la situation aux Antilles, l’association souhaite peaufiner son dossier sur les dégâts provoqués par l’épandage dans l’hexagone. Les apiculteurs ont déjà répondu présents. D’autres suivront : il leur suffit pour cela de prendre contact avec l’Asfa. Nous, on dit ça, on dit rien !
Nicolas Bérard