Treize ans après le lancement du marché des certificats d’économie d’énergie, l’Ademe a publié un premier rapport dans lequel elle analyse le fonctionnement global du dispositif. Son constat est accablant.
L’ARGENT REVIENT AUX MÉNAGES… EN PARTIE
100 à 150 euros par ménage, c’est l’argent que nous injectons chaque année dans l’usine à gaz des certificats d’économies d’énergie. Mais après tout, si, de l’autre côté du tuyau, les particuliers bénéficient de la même somme pour engager des travaux de rénovation énergétique, changer leurs ampoules et réparer leur vélo, on peut se dire que la boucle est bouclée : les ménages qui consomment de l’énergie paient les travaux de ceux qui veulent en économiser. Sans justifier un tel raisonnement qui nous paraît injuste, on peut lui reconnaître une forme de logique « pollueur payeur ». Sauf que la boucle n’est pas bouclée : pour 100 euros payés, seulement 61 reviennent dans les poches des ménages, constate l’Ademe dans un rapport (1).
Pour se consoler, les particuliers peuvent se dire que 16 euros sont récupérés par l’État au titre de la TVA. Ces millions d’euros reviennent ainsi à la collectivité, même si, on le sait, il n’y a pas d’impôt plus injuste que la TVA. Restent 23 euros, dont le marché des certificats d’énergie fait une drôle d’utilisation. D’abord, 17 euros sont utilisés pour « financer le dispositif », constate le rapport. De quoi s’agit-il ? Concrètement, les vendeurs d’énergie créent leurs propres services, ou font appel à des intermédiaires pour la gestion de ces certificats. Ainsi, toute une nébuleuse d’entreprises – à but lucratif – s’est créée, censée « optimiser » le fonctionnement du marché des certificats. Nous ne parlons pas ici des artisans ou autres vélocistes qui sont sur le terrain, mais des courtiers qui spéculent à la bourse des certificats, des « communicants » qui démarchent les artisans et les particuliers, ou encore des gestionnaires qui remplissent des dossiers et calculent des optimums économiques. Nul doute que si la gestion des certificats revenait à l’administration publique, tout ce petit monde aurait tôt fait de dénoncer ces coûts bureaucratiques exorbitants.
Quant aux 6 euros restants, soyons brefs : ils vont dans la poche des industriels et des agriculteurs. Ces deux secteurs bénéficient en effet des certificats d’économie d’énergie alors qu’ils ne les financent pas. Si on fait un calcul de coin de nappe, le cadeau pourrait s’élever à plusieurs dizaines de millions d’euros. Nous payons donc des investissements d’efficacité énergétique à des industriels et à des agriculteurs. Des serres chauffées, oui, mais efficacement ! (Voir article)
DES ÉCONOMIES D’ÉNERGIE LARGEMENT SURESTIMÉES
« Plusieurs problèmes ont été remontés par les acteurs de la filière, écrit l’Ademe. Parmi les principaux, nous pouvons citer le manque de stabilité du dispositif et sa complexité ; une lourdeur administrative et une gestion inadaptée ; la fraude (travaux non réalisés, fausses déclarations, démarchage abusif, etc.) et la qualité (malfaçons), pointées par tous les acteurs (référentiel qualité imprécis, certification RGE qui ne joue pas son rôle…) ; un manque de transparence… » Ces lignes sont écrites en 2019. Le dispositif a été mis en place en 2006, et il a déjà fait l’objet d’une « réconciliation administrative », pour ne pas dire une remise à plat, en 2017, notamment pour éviter des fraudes déjà constatées à l’époque, s’élevant à plusieurs dizaines de millions d’euros. Il faut croire que la « réconciliation » n’a pas duré.
Toujours est-il que les gouvernements successifs s’entêtent à augmenter la taille de l’usine à gaz. Pourquoi un tel entêtement ? L’argument massue est l’efficacité des certificats. Les chiffres avancés paraissent en effet aller dans ce sens : 1 200 TWh d’économies d’énergie entre 2006 et 2017, si l’on se fie au nombre de certificats d’énergie délivrés aux entreprises. Mais qu’en est-il des économies d’énergie constatées sur le terrain ? Dès 2013, la Cour des comptes jugeait « indispensable, à court terme, que l’ensemble des acteurs concernés définissent […] une méthodologie d’évaluation de l’efficacité » de ces certificats. Il faut pourtant attendre 2019 pour que l’Ademe en publie une première évaluation globale. Ses conclusions sont accablantes : le dispositif entraîne une surestimation de plus du double des économies d’énergie qu’il est censé avoir financées ! Ainsi, pour 100 MWh d’économies comptabilisées, seulement 47 sont réelles, et liées directement au dispositif (voir graphique). Le marché des certificats d’économies d’énergie est deux fois moins efficace que ce qu’il a laissé croire pendant 13 ans. Le financement par les ménages, lui, n’a pas été divisé par deux pour autant.
UNE MANNE QUI PROFITE AUX MÉNAGES LES PLUS RICHES
Financement de chaudières, de pompes à chaleur, isolation des combles, des murs, pose de doubles vitrages… Pour qui connaît la manœuvre, les certificats d’économie d’énergie peuvent offrir des réductions très intéressantes. Malheureusement, seulement 10 % des Français connaissent leur existence, indique l’UFC – Que Choisir. Logiquement, la manne n’a profité qu’à 5 % des ménages entre 2011 et 2017, a constaté l’Ademe. La proportion a dû augmenter depuis, mais tout de même, on est loin des 100 % des ménages qui le financent. Parmi ceux qui paient sans pratiquement jamais profiter d’améliorations sur leurs factures de chauffage : les locataires. « Les propriétaires bailleurs représentent une part marginale des bénéficiaires », précise en effet l’Ademe. Pour bénéficier des certificats, il vaut mieux donc être propriétaire de son logement. Si on est propriétaire, qui plus est dans un grand centre urbain, là où le mètre carré est le plus cher, on est doublement gagnant puisqu’on fait habituellement moins souvent que les autres le plein de sa voiture, donc on contribue moins que les autres aux certificats d’économie d’énergie. Par contre, si on est locataire « en périphérie » et qu’on prend son diesel pour se rendre au travail, on raque plein pot. Moralité : pour bénéficier pleinement de ce système, mieux vaut être riche !
UN AUTRE FINANCEMENT EST POSSIBLE !
« Le ver est dans le fruit : on aura beau essayer d’améliorer le dispositif, cela restera un marché. Or, qui dit marché dit concurrence, c’est-à-dire non coopération entre acteurs, recherche perpétuelle des moyens de contourner le système », souligne le journaliste Aurélien Bernier, spécialiste des mécanismes de marché mis en place au nom de l’environnement. Pour lui, le financement de la politique de maîtrise énergétique doit être financé par l’impôt, ce qui aurait aussi l’avantage d’être beaucoup plus démocratique et redistributif. Le levier de l’impôt sur les bénéfices des entreprises pourrait être actionné, ce qui empêcherait le report des coûts sur les factures des consommateurs. Ajoutée à cela une réponse globale et coordonnée au problème (aménagement du territoire pour limiter les déplacements, développement du rail, lutte contre la pollution importée, etc.), on pourrait agir bien plus efficacement contre le réchauffement climatique. En somme, ces recettes n’ont rien de révolutionnaire. Simples, connues, leur efficacité a été prouvée par le passé, pour d’autres objectifs (voir édito n°158). Il suffit de les mettre en œuvre.
Fabien Ginisty