Dans Techno-luttes, deux journalistes partent à la rencontre des techno-résistant·es qui, bien qu’ils passent souvent en dessous des radars médiatiques, foisonnent sur le territoire de la « start-up nation ».
Fabien Benoit et Nicolas Celnik font d’abord un constat : « Nombreux sont celles et ceux qui arrivent aujourd’hui à saturation, portent un discours critique et mènent des luttes concrètes, des “technoluttes”, pour s’opposer à la numérisation croissante de la société. » Les grands médias n’en font que peu écho, pendant que les écrans continuent d’envahir nos vies et nos imaginaires. Pourtant, ces résistant·es existent et, bien qu’encore très minoritaires, sont même nombreux. Alors, qui sont-ils ? Quels sont leurs arguments ? Comment tentent-ils de faire face à cette déferlante numérique ?
Les deux journalistes sont partis à la rencontre de ces « techno-résistant·es » qui refusent l’implantation d’une antenne relais, se battent contre le compteur Linky, refusent la numérisation de leur métier ou de leur environnement, dans un monde où le moindre doute porté sur les bienfaits de la technologie vous enferme vite dans le camp des désormais célèbres « Amishs ». Pour illustrer cette difficulté, ils citent l’exemple d’une émission (1) au cours de laquelle deux personnalités ont pu croiser le fer. D’un côté, Laurent Alexandre, « urologue de formation, cofondateur du site Doctissimo, tonitruant personnage médiatique connu pour ses positions pro-tech, souvent anti-écolo, proche d’une forme de transhumanisme libertarien ». De l’autre, Philippe Bihouix, ingénieur centralien, spécialiste des ressources et auteur de plusieurs livres dont l’indispensable L’âge des low tech (éd. Seuil). « Le premier parle fort, passe du coq à l’âne, multiplie les prophéties au doigt mouillé », pendant que le second « essaie d’être méthodique, d’arrimer la discussion à la réalité matérielle ». Au final, c’est pourtant Laurent Alexandre qui « semble sortir victorieux du débat, à grand renfort de formules choc et de prêt-à-penser ».
Le sens de l’histoire
Médiatiquement, la lutte se heurte ainsi au discours (encore) dominant, selon lequel le salut de l’humanité passe forcément par le progrès technique. Une nouvelle religion, en somme, qui fait souffler le vent dans le dos de ses bons apôtres. « Une image vaut mieux qu’un long discours : c’est peut-être une des raisons pour lesquelles il est si difficile de porter un argumentaire technique, rigoureux, pointilleux, contre le mythe du progrès dans les médias », analysent les auteurs.
Cela n’empêche pas les militant·es d’agir, ni des journalistes indépendant·es d’aller à leur rencontre. Ainsi, les routes de Fabien Benoit et Nicolas Celnik croisent, entre autres, celles de L’Atelier paysan, qui propose aux paysan·nes refusant le modèle de l’agriculture 4.0 de construire leurs propres outils low-tech et de se réapproprier leur métier ; des militant·es de la Quadrature du net qui multiplient les recours en justice pour tenter de contrer la mise en place de la techno-police ; des collectifs anti-Linky et/ou anti-5G, ou encore des auteurs de l’appel de Beauchastel contre l’école numérique (2). Une mise en lumière nécessaire car, comme le signale la conclusion du livre, « À l’heure de la crise écologique et de l’épuisement des promesses modernisatrices, le “sens de l’histoire”, pour répondre à ceux qui se gargarisent avec cette expression, est aujourd’hui d’être résolument technocritique.»
Nicolas Bérard
> Techno-luttes, enquête sur ceux qui résistent à la technologie, Fabien Benoit et Nicolas Celnik, éd. Seuil-Reporterre, 210 pages, 12 euros.
1- L’avenir de l’humanité ?, sur thinkerview.com, le 25 juin 2019.
2 – À ce propos, lire L’âdf n°177.