Dans la rubrique « Mots dits », cette fois-ci, c’est le « développement » qui passe sur le grill.
Voilà un mot dont on use et abuse à tel point que le requestionner pourrait paraître à certains une idée saugrenue. Si l’on imagine bien ce que peut être le développement en biologie (croissance, vie et mort d’un organisme vivant), il en est tout autre chose dans son usage courant. D’où vient la portée méliorative du mot, synonyme de marche en avant du monde ? De très loin assurément, mais son élan le plus proche est le résultat de l’imposition d’une grande fable planétaire, pas si vieille que ça. En 1949, le président américain Truman, lors de son discours sur l’état de l’Union qualifia la majeure partie du monde de « régions sous-développées ». (1) Plus qu’une simple façon de claironner la victoire, c’est un destin pour le reste du monde qui fut posé ici. La suite fut théorisée par les sciences économiques et mises en œuvre par les politiques d’après-guerre sur les cendres encore chaudes du conflit mondial. Dans la continuité de l’élan guerrier se prolonge alors une course effrénée à l’augmentation du capital (que celui-ci soit étatisé sous la forme historique du communisme n’y change rien), à l’imposition de la société de consommation (pour le bloc de l’ouest au moins dans un premier temps…) et à la suprématie des subjectivités occidentales. C’était le progrès ou la mort.
Ce que pourrait être un « après développement »
L’anthropologue Robert Jaulin parla d’« ethnocide » (2) pour rendre compte de la destruction, parfois lente, parfois rapide, des sociétés traditionnelles. Les autres se sont laissées – non sans certaines résistances (3) – bercées par les promesses d’une vie plus facile. Aujourd’hui « la crise », lorsqu’elle ne finit plus, révèle les contradictions d’une construction économique et politique dans l’impasse. François Partant, un économiste (banquier du développement, tiens tiens), résumait ainsi la situation dans les années 1980 : « Aussi longtemps que nous assimilerons l’évolution de notre société à celle de l’humanité avançant vers un terme à la fois idéal et indéfiniment futur, aussi longtemps que nous verrons, dans nos progrès scientifiques et techniques, la preuve de cette évolution d’ensemble, nous ne parviendrons même pas à imaginer un projet politique nouveau. » (4) Ils furent quelques-uns alors à réfléchir, avec lui et à sa suite, à ce que pourrait être un « après développement ». « Il ne s’agit plus de préparer un avenir meilleur mais de vivre autrement le présent », aimait à rappeler François Partant dans ses livres.
1 Le développement. Histoire d’une croyance occidentale, Gilbert Rist, Les presses de Sciences Po, 2012.
2 La paix blanche, introduction à l’ethnocide, Robert Jaulin, Seuil, 1970.
3 Une autre histoire des « Trente Glorieuses ». Modernisation, contestations et pollutions dans la France d’après-guerre, sous la dir. de C. Pessis, S. Topçu et C. Bonneuil, La Découverte, 2013.
4 La fin du développement. Naissance d’une alternative ?, François Partant, Babel, 2011 (1982).