Dans la Nièvre, une compagnie de théâtre propose des ordonnances poétiques et un standard téléphonique « non surtaxé, même pour les riches ». L’ambition des comédiens ? Injecter une dose d’imaginaire dans un quotidien en pénurie de poésie.
« Pour Apollinaire tapez 1, pour Julos Beaucarne tapez 2, pour René-Guy Cadou tapez 3… » À l’abbaye du Jouïr, située pile dans la diagonale du vide, on ressuscite les fantômes de poètes. Contre les méchants coups de blouse, le Téatr’Éprouvète a lancé un standard téléphonique, une sorte de téléphone rose poétique, ouvert 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, où l’on peut à tout moment prendre son pied sur du Verlaine.
Un coup de bigo et ça va déjà mieux. Mais il n’y a pas que ça. Le Téatr’Éprouvète a ouvert une centaine de cabinets de poésie générale. « Il faut que la poésie s’incruste dans le quotidien et ne reste pas qu’un mauvais souvenir de l’école ou un coin poussiéreux au fond des librairies. On veut semer des bouts de poésie un peu partout », sourit Claire du Sédouy, comédienne de la compagnie.
Dans ces lieux saupoudrés un peu partout en France, pas de paracétamol ou de magazines people dans la salle d’attente. Plutôt des consultations poétiques. On y propose des radiographies, qui permettent de « voir la poésie qu’il y a à l’intérieur des gens et qu’ils n’ont pas forcément vue ». Ou des auscultations particulières, où le patient enfile un stéthoscope dans ses oreilles et où le praticien chuchote un poème à l’autre bout.
De la poésie aux Impôts
Et pour finir, des ordonnances-poèmes, avec une posologie à respecter à la lettre. Dans une boulangerie, une prescription est d’ailleurs offerte avec le pain. Dans les Ardennes, on distribue tous les jours des ordonnances dans les boîtes aux lettres. « Comme une petite touche de poésie qui arrive avec sa facture de gaz. »
La compagnie envoie aussi des prescriptions pour ceux qui bossent dans l’administration. « Quand on envoie un document à la direction des finances publiques, on imagine qu’il y a quelqu’un dans les sombres recoins d’une perception qui va tomber sur une ordonnance, entre des dizaines de formulaires avec des chiffres et des cases. Et que ça lui fera du bien. » Beaucoup de ces ordonnances poétiques sont écrites par Ivan Charabara. Autrement dit Jean Bojko, le fondateur du Téatr’Éprouvète. « Pour avoir côtoyé ce poète de près pendant des années, c’est un humain tout à fait humain », lance Claire de Sédouy. L’hurluberlu a même réussi à se faire embaucher comme « poète » par le conseil général de la Nièvre.
« On est riches de ce que l’on a, avant d’être pauvres de ce qui nous manque », poursuit la comédienne, habituée des déserts médicaux et poétiques. En composant le 03 71 42 00 77, le cabinet de poésie générale est ouvert à tous. Il est « non surtaxé, même pour les riches ». Et pour Prévert, tapez 5.
Clément Villaume
Illustration : Caroline Pageaud
Au sommaire du numéro 158
1 / EDITO Hercule contre Marcel / Robin et le jardin des bois
3 / Cinécyclo de la petite reine au grand écran
4 / Portrait : un pêcheur écolo en vaut deux
5 / Livre : Comprendre et détruire la mégamachine
/ Bonne bouffe pour tous à perpignan
6 / 7 Reportage en Italie : radio et tomates contre la mafia
12 /13 / Floppée de poèmes
14 / 15 / Actus : Cachez ces noirs que je ne saurais voir ! /
Grrondes : de la friture sur la 5G
16 /17 / La lorgnette
Coup de pouce vélo : l’entourloupe des certificats d’économie d’énergie
18 / L’atelier : au jardin / couture & Compagnie / cuisiner sans gluten / le coin naturopathie
19 / FORUM : Des lycéens poètes
20 / 21 Fiche pratique : peindre à la chaux
Dossier 4 pages : Quelques grammes de poésie
Dans ce monde de brutes, les mots nous sont plus que jamais nécessaires pour s’évader mais aussi se révéler, exploser, inventer… Certains jouent avec pour le plaisir, d’autres les sabotent pour se les réapproprier. Qu’ils l’écrivent, l’éditent ou la lisent, allons à la rencontre de celles et ceux qui ne voudraient pas vivre sans poésie.