Robin a créé le Jardin des bois en 2017 à Grenoble. Il vivait alors dans la rue et souhaitait « se rendre utile ». Dans ce quartier résidentiel, cet espace se veut « ouvert à tous » pour devenir un lieu de vie bien plus qu’un potager. Pour Robin, il sera aussi synonyme d’un retour vers l’emploi, puis vers un logement.
Bien sûr, avec l’hiver, le Jardin des bois a perdu un peu de sa superbe. Mais Robin, son créateur, continue d’y venir en ce mois de décembre. « Il y a toujours de quoi s’occuper dans un jardin », commente-t-il en ramassant quelques feuilles puis en ajoutant des pelletés de terre au bac à compost. Cela fait trois ans qu’il s’est mis à cultiver cette bande de terre, le long de la piste cyclable, dans le quartier de l’Île verte à Grenoble.
À l’époque, Robin n’a plus de logement et dort dehors, sous les arches du musée, non loin de là. « Cela faisait deux ou trois mois que j’étais à la rue. Faire le jardin m’a donné un but, je me sentais utile, se remémore le trentenaire. Sinon, j’aurais continué à boire avec d’autres SDF, et j’aurais fini par sombrer complètement. »
« Un endroit parfait »
« J’ai toujours aimé les plantes », confie l’ancien paysagiste qui a dû cesser son activité professionnelle après des problèmes de dos. « Quand j’ai découvert cet endroit, je l’ai trouvé parfait : suffisamment ensoleillé pour les légumes mais relativement ombragé pour que ce ne soit pas trop chaud. L’Isère est à côté pour arroser, et c’est quand même un peu à l’écart de la rue pour être tranquille. »
Il a néanmoins fallu convaincre le voisinage. « J’avais construit la cabane pour ranger les outils, alors certains riverains croyaient que j’allais dormir là. » Quelques années auparavant, des tentes avaient été installées à cet endroit avant d’être évacuées. Peu à peu, le jardin gagne en taille et en variété. Au chrysanthème du tout début s’ajoutent des courgettes dont les graines ont été récupérées sur le marché, puis des plants de tomates, des aubergines…
Les parterres sont aujourd’hui bien délimités par des planches ou des rondins, et de petites affiches expliquent les vertus de certaines plantes. Aux deux extrémités de la bande potagère, de grands panneaux sont aussi bien visibles : les mots « respect », « solidarité » et « partage » reviennent, afin que le lieu demeure « ouvert à tous ». L’ensemble est complété par du mobilier de récupération servant de dépose-livres, et une boîte aux lettres.
Avec l’Union de quartier
Au fil du temps, un lien avec les habitants s’est tissé. « C’est un lieu enchanteur, plein de magie », s’émerveille Élisabeth, une voisine dont les promenades prennent régulièrement la direction du jardin. « Il y a aussi un rôle social, car Robin est quelqu’un qui est beaucoup tourné vers les autres. » Il suffit en effet de s’y balader un dimanche ensoleillé pour mesurer la popularité du bonhomme, en permanence sollicité et souriant.
Il peut aussi compter sur le soutien de l’union de quartier :
« Au-delà du jardin, Robin organise beaucoup d’actions, que ce soit avec les boîtes à livres, le Noël des enfants ou ses maraudes »
liste Colette Fillion Nicollet, coprésidente de l’association.
« À chaque fois, nous faisons le relais auprès des habitants. Nous lui prêtons notre salle si nécessaire. » À l’inverse, lors du nettoyage annuel des berges, Robin est venu prêter main forte.
« En revanche, participer aux moments festifs m’était difficile, admet-il. Je ne m’y sentais pas à l’aise. » De belles rencontres se nouent néanmoins. « Une dame qui venait au jardin m’a proposé d’utiliser son garage dont elle ne se servait plus. » Situé en sous-sol, le lieu, froid et humide, n’est pas toujours utilisable. Mais Robin arrive à l’aménager pour en faire un semblant de chez-soi : un canapé, une table, un meuble.
Le tremplin vers un travail et un logement
Jusqu’au printemps, Robin organisait aussi des goûters partagés au jardin, « toutes les deux à trois semaines ». Des moments d’échange auxquels participent une quinzaine de personnes à chaque fois. « L’élu de secteur est aussi venu, même s’il n’est pas resté bien longtemps. » Évidemment, le coronavirus a quelque peu enrayé la dynamique. Avec un effet positif toutefois : « Les gens ont redécouvert leur quartier, vu qu’ils n’avaient plus le droit de s’éloigner de chez eux. Pendant le confinement, il y avait toujours du monde. »
Depuis, Robin a pu retrouver du travail : « Une personne est venue me voir au jardin et m’a proposé un boulot d’agent de nettoyage. » Ce qui l’a amené à évoquer sa situation, en faisant le ménage dans l’immeuble d’un bailleur social. Et, quelques mois plus tard, à obtenir un logement. « Avec le jardin, le responsable a vu que j’étais quelqu’un de sérieux qui ferait tout pour payer son loyer. » Robin est donc désormais dans un appartement refait à neuf, au Sud de l’agglomération grenobloise.
Il n’est pas près d’abandonner le jardin pour autant. L’année passée, il a remporté le premier prix du concours organisé par la Ville dans la catégorie fleurissement et végétalisation de l’espace public.
Florian Espalieu
Au sommaire du numéro 158
1 / EDITO Hercule contre Marcel / Robin et le jardin des bois
3 / Cinécyclo de la petite reine au grand écran
4 / Portrait : un pêcheur écolo en vaut deux
5 / Livre : Comprendre et détruire la mégamachine
/ Bonne bouffe pour tous à perpignan
6 / 7 Reportage en Italie : radio et tomates contre la mafia
12 /13 / Floppée de poèmes
14 / 15 / Actus : Cachez ces noirs que je ne saurais voir ! /
Grrondes : de la friture sur la 5G
16 /17 / La lorgnette
Coup de pouce vélo : l’entourloupe des certificats d’économie d’énergie
18 / L’atelier : au jardin / couture & Compagnie / cuisiner sans gluten / le coin naturopathie
19 / FORUM : Des lycéens poètes
20 / 21 Fiche pratique : peindre à la chaux
Dossier 4 pages : Quelques grammes de poésie
Dans ce monde de brutes, les mots nous sont plus que jamais nécessaires pour s’évader mais aussi se révéler, exploser, inventer… Certains jouent avec pour le plaisir, d’autres les sabotent pour se les réapproprier. Qu’ils l’écrivent, l’éditent ou la lisent, allons à la rencontre de celles et ceux qui ne voudraient pas vivre sans poésie.