Alors que des milliers de hêtres ont été plantés il y a plus de 200 ans, pour fournir Bruxelles en bois, et que ces arbres arrivent aujourd’hui à maturité, quasiment toutes les grumes partent pour l’Asie. Une coopérative tente de remédier au problème.
Au sud-est de Bruxelles, sur environ 5 000 hectares, s’étend la vaste forêt de Soignes. Des châtaigniers, des robiniers, des chênes, des pins, des érables et surtout des hêtres, beaucoup de hêtres. Ces derniers représentent en effet 80 % des arbres présents, en raison de vastes plantations effectuées au cours des XVIIIe et XIXe siècles. Désormais, ils forment une majestueuse « hêtraie cathédrale », faisant même de Soignes un site classé au patrimoine mondial de l’Unesco. Ce poumon vert belge offre oxygène et lieu de détente aux habitant·es. Promeneurs, joggeurs, vététistes peuvent profiter de cet espace naturel qui s’étire sur les trois régions que compte la Belgique : une grosse moitié se trouve en Flandre, un bon tiers en région Bruxelles et le reste en Wallonie.
Les activités ne sont pas uniquement de loisirs. Ainsi, chaque année, environ 20 000 m³ de bois sont coupés puis vendus aux plus offrants, au cours d’une vente aux enchères qui se tient chaque année. Ici, pas de coupe rase, il s’agit plutôt d’entretenir en prélevant les arbres tombés au sol ou malades, ou d’en abattre pour encourager la régénération et la diversification des espèces. Selon ces critères, les arbres sont sélectionnés individuellement par les gardes forestiers et vendus sur pieds. « N’avoir que des arbres d’une même espèce et ayant tous à peu près le même âge, c’est très dangereux, explique Stephan Kampelmann, fondateur de la coopérative Sonian Wood. Dans ce type de monoculture, s’il y a une tempête, par exemple, ce sont des centaines d’hectares qui peuvent être ravagés d’un coup. »
Surtout que le hêtre a un système racinaire très peu profond et résiste mal aux bourasques. Autre danger qui le guette : il supporte très mal la sécheresse. Il est donc nécessaire de faire de la place à d’autres essences afin que la forêt résiste mieux, demain, aux différents phénomènes climatiques, qui seront très vraisemblablement de plus en plus fréquents.
Les menuisiers et charpentiers doivent importer
Mais si la forêt de Soignes se prépare au dérèglement climatique, rien n’avait encore été entrepris pour qu’elle résiste… à la mondialisation. Résultat : quasiment tout le bois récolté est exporté en Asie. Seul le bois de chauffage reste sur place, alors que l’ensemble du bois de sciage part à l’autre bout du monde, avec l’empreinte carbone qu’on imagine. Surtout que dans le même temps, les professionnels belges du bois (menuisiers, charpentier…) importent des planches en provenance de Russie ou du Canada.
C’est pour parer à cette situation ubuesque qu’a été fondée Sonian Wood Coop en 2019. Économiste spécialisé dans l’économie circulaire et les circuits courts, Stephan a découvert cette problématique en étudiant les flux de matières de la ville de Bruxelles.
Grâce à Sonian Wood, une petite partie de cette richesse reste au pays. Le bois acquis par la coopérative est notamment envoyé à l’atelier pour confectionner tables, chaises et autres meubles ou répondre à des projets sur-mesure. « Je voulais faire des meubles de façon écologique. Or, même en prenant du bois labellisé FSC, je ne vois pas l’intérêt d’en faire venir de l’étranger alors qu’on a ce qu’il faut sur place », explique par exemple Torben, menuisier d’une quarantaine d’années vivant dans la capitale belge. Il a donc intégré la coopérative, dont l’atelier est installé au Circularium, site dédié à l’économie circulaire et aux circuits courts. Là, il peut travailler des grumes de plus de 200 ans, quand elles dépassent rarement trente ans dans les exploitations forestières classiques.
Relance d’une filière
Parallèlement, Sonian Wood propose divers produits comme du bardage ou du parquet.
Relancer cette production a nécessité, dans le même temps, de relancer une filière frappée de plein fouet par les effets de ces exportations massives vers l’Asie. « Finalement, ce phénomène n’est pas si vieux, il date d’une vingtaine d’années, observe Stephan. Avant ça, la Belgique transformait des millions de mètres cubes de bois par an ! Donc il y a des scieries, des raboteries, les installations sont là mais elles tournent parfois à vide. On participe à relancer tout ça. » Sur les 3000 m³ mis en vente par la région Bruxelles (où est installée Sonian Wood) en 2022, la coopérative en a acquis un peu plus de 300 m³. L’objectif que s’était fixé la coopérative, de garder sur place 10 % des volumes bruxellois, a donc été atteint. « Et ce sera peut-être le double l’année prochaine. »
Nicolas Bérard