Pour le botaniste Francis Hallé, les méga-feux de forêts en Australie nous montrent l’urgence d’agir pour limiter le dérèglement climatique. Nous devrions aussi apprendre auprès des peuples forestiers les techniques permettant d’utiliser les forêts sans les détruire.
L’âge de faire : On parle de 10 millions d’hectares de forêts qui ont brûlé en Australie depuis le mois de septembre. Ce sont notamment des eucalyptus qui sont partis en fumée. Ont-ils les facultés nécessaires pour se régénérer suite aux incendies ?
Francis Hallé : Ils ont d’énormes facultés. Ils brûlent jusqu’au niveau du sol, et quand le feu est arrêté, il suffit d’une petite pluie pour que la souche rejette. C’est d’ailleurs la technique habituelle d’exploitation de ces arbres : on les coupe au niveau du sol, et on attend que ça reparte. Ajoutons à cela que ce sont des plantes qui produisent énormément de graines. Celles-ci tombent au sol et résistent au feu, elles peuvent donc germer une fois l’incendie terminé.
Mais il faut signaler que les eucalyptus représentent aussi une grande part du problème des feux, car ils brûlent terriblement bien. Ils sont bourrés d’essence ! Vous n’avez qu’à froisser une de leur feuille, et vous aurez une flopée de molécules volatiles très inflammables. D’ailleurs, lorsqu’il y a des feux dans certaines régions, comme au Portugal, on rouspète parce que des eucalyptus ont été plantés et qu’ils ont favorisé ces incendies. Mais en Australie, on ne peut pas dire ça, ils n’ont pas été plantés, ils sont chez eux !
Outre les forêts d’eucalyptus, plusieurs centaines d’hectares de forêts tropicales humides sont également partis en fumée. Or, celles-ci ne sont, normalement, pas touchées par les incendies…
F.H. : C’est une très grande surprise pour tous ceux qui s’occupent de ces forêts-là. Nous pensions effectivement qu’elles ne brûlaient pas, et je continue d’ailleurs à penser qu’une forêt tropicale humide ne peut pas brûler. Mais s’il y a des mois et des mois de sécheresse exceptionnelle, ce ne sont en fait plus vraiment des forêts tropicales humides : on ne peut plus les appeler comme ça ! L’Australie a eu un été particulièrement sec et chaud. On s’aperçoit donc que même les forêts tropicales anciennement humides sont capables de brûler. C’est un très mauvais signe pour les Australiens.
Est-ce que, avec le dérèglement climatique, on peut s’attendre à voir se multiplier des événements comme ceux qui ont actuellement lieu en Australie ?
F.H. : Ce à quoi on assiste, ce ne sont pas des feux normaux, que l’être humain est capable d’arrêter. Ce sont des « mégafeux » qui ne s’arrêtent que quand il n’y a plus rien à brûler. Il faut lire Quand la forêt brûle, de Joëlle Zask, de l’université d’Aix-Marseille. Elle explique que ce qui se passe en Australie actuellement, c’est ce qui va se passer un peu partout si on ne fait rien contre l’élévation de la température. Dans quelques années, nous pourrions donc nous retrouver dans la situation des Australiens. Et quand je dis « nous », c’est ici, le long du bassin méditerranéen !
Il y a tout de même une bonne nouvelle dans toute cette histoire. Elle concerne le pin Wollemi, qu’on appelle aussi le « pin dinosaure », parce qu’il est contemporain des dinosaures. Ce n’est en fait pas vraiment un pin, mais un Araucaria, dernier représentant d’un genre que l’on croyait disparu depuis des millions d’années. En milieu naturel, il n’en reste qu’une centaine d’individus sur la planète, situés… à une centaine de kilomètres à l’ouest de Sydney, dans les Montagnes Bleues. Or, les Blue Mountains ont brûlé, et tous les collègues australiens étaient horrifiés à l’idée que le pin Wollemi disparaisse. Mais les Australiens ont pris des précautions, ils ont arrosé le fond du canyon dans lequel les arbres se trouvaient. Ça a fonctionné : les pins Wollemi sont sauvés.
Les Aborigènes connaissent certaines techniques pour éviter les feux, faut-il s’en inspirer ?
F.H. : Les Aborigènes font des feux précoces, quand la végétation n’est pas encore vraiment sèche, de sorte que les flammes sont encore faciles à contrôler. Et ainsi, durant la saison sèche suivante, il y aura beaucoup moins de risques de départ d’incendie. Ce sont des connaissances traditionnelles que l’on trouve dans pas mal de pays, on faisait ça aussi en Europe.
Les gens qui habitent dans la forêt, les peuples forestiers, sont les seuls qui savent utiliser la forêt sans la détruire. Ils ont des milliers de techniques très curieuses pour limiter les incendies, mais aussi pour que les arbres poussent plus vite, qu’ils donnent plus de fruits, etc. Le savoir de ces gens-là est extrêmement précieux, nous devrions très vite consigner tout cela.
Recueilli par Nicolas Bérard
Au sommaire du numéro 149
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Ménage, qui fait le « sale boulot » ?
Pour Roman, de la communauté Longo Maï, c’est « un révélateur de la qualité de vie collective ». Pour Ghislaine, employée de mairie, un métier qu’elle « n’aime pas », faute de reconnaissance. Ce mois-ci, L’âge de faire s’intéresse au ménage, dont la répartition est marquée par les inégalités de genre et de classe. En coloc, en entreprise, en famille, entre les couches sociales…
Si on partageait équitablement le « sale boulot » ?