Je cherche un Paris-Lyon pour jeudi 22 décembre au matin. Sur sncf-connect.com, j’ai le choix entre un TGV à 100 euros qui reliera les gares en deux heures et un TER à 65 euros qui mettra 5 heures. Je clique sur l’onglet « Bus ou covoiturage ». Il y a un flixbus à 35 euros, mais pour 6h20 de trajet. Dans la liste déroulante, il y a aussi un Blablacar. Il est à 40 euros, et met 5h10, soit autant que le TER, et moins cher. Je clique. Je suis redirigé vers le site internet de Blablacar. C’est Éric qui me conduira. C’est un trajet non fumeur. Sa pièce d’identité a été vérifiée, et il a le statut de super driver : les avis sont excellents, et il est « super fiable ». Avec tous ces préavis de grève, ça compte…
Ouverture à la concurrence des lignes de train, des lignes de bus intérieures (cars Macron), création du statut de VTC. Ces dix dernières années, le secteur des transports a fait l’objet d’une immense mise en marché. Après tout, c’est le grand classique d’une politique libérale : mettre en concurrence. Mais dans les transports, il semble qu’un pas de plus soit franchi : même Alain Madelin, dans ses rêves les plus fous, n’aurait imaginé qu’un jour, le cheminot soit concurrencé par Éric, simple particulier sans aucun statut lié à l’emploi ! La grande nouveauté de l’ubérisation, c’est qu’elle étend le domaine de la lutte jusqu’aux particuliers, en cassant la frontière travail/non-travail. Le dumping social ne se fait plus au moins offrant des législations sociales, comme avec la directive Bolkenstein, mais entre la législation sociale… et rien !
Pour les trajets du quotidien, parlons d’Uber justement, qui a réussi à casser le monopole des taxis en faisant voter le statut moins disant des VTC. Dans son cynisme, la boîte avait refusé de donner ce statut aux chauffeurs Uberpop, prétextant que ces derniers ne gagnaient pas assez pour être considérés comme des professionnels… Ils étaient donc des particuliers faisant du covoiturage ! Uber a perdu en justice. Pour autant, la frontière entre prestation de transport « amateur » et « professionnelle » est plus floue que jamais. Actuellement, certaines plateformes comme Atchoum (si si !) proposent des services de « covoiturage » où ce sont les conducteurs qui répondent aux annonces des passagers : comme des taxis ou des VTC. Sauf qu’ils ne sont pas rémunérés ! Ils ne partagent pas les frais comme lors d’un covoit’ normal, mais sont « indemnisés » au coût kilométrique.
Et que dire de la prime de 100 euros versée par l’État aux conducteurs qui se mettront au covoiturage à partir du 1er janvier ? Pour augmenter notre pouvoir d’achat, nous sommes fortement incités à nous connecter à une plateforme, à poster notre offre, être géolocalisés, et faire peut-être un petit détour le jour J. Est-ce du travail ? Des micro-tâches ? Il faut croire que oui, puisque l’État considère que les individus qui ne le font pas gratuitement vont désormais le faire s’ils reçoivent une contrepartie financière. Ainsi, l’État va payer des millions de Français à faire des micro-tâches alors qu’il dézingue, « en même temps », le statut de la fonction publique.
Le covoiturage est-il une composante de l’ubérisation ? Tel qu’il est organisé aujourd’hui par les grandes plateformes et les pouvoirs publics, assurément. Il est temps de nous réapproprier cette pratique, loin des géolocalisations, des commissions et autres « incitations ».
L’auto-stop, vous connaissez ?
Fabien Ginisty
Bonjour Sandrine, l’article est peut-être pas clair, car nous partageons tout à fait votre point de vue. Partager les frais n’est pas du tout “délirant”, nous ne crtiquons pas ça, mais la main-mise lucrative des plateformes sur ces échanges entre particuliers, qui nous procurent effectivement des “haut-le-coeur” ! Néanmoins (Ha ha !), pour prolonger la discussion, nous posons la question de la monétarisation des échanges entre particuliers, et de l’incitation des pouvoirs publics à nous faire changer de comportement en tendant un billet.
Bonjour à toutes et tous,
voilà plusieurs articles que je lis où vos journalistes critiquent en négatif le covoit’ rémunéré. Autant, je comprends vos “haut-le-cœur” concernant Uber ou BlaBlaCar qui profitent du système et des gens, autant je ne comprends pas votre vision par rapport à la rémunération. J’habite en campagne (choix qui peut paraître idiot aujourd’hui au vu de ma conso d’énergie ?) et le fait de trouver une coivot’ et de partager les frais ne me semble pas délirant. J’ai due passer par BlaBlaCar pour la trouver, mais, dès le deuxième voyage, je lui ai proposé de se passer de la plateforme. Je m’assoie de cette façon sur les 100€… Mais, parce que si encore financièrement cette liberté.! Voili, voilou, simple témoignage… Bonne continuation ! S. Paulat