Un à un, les dogmes qui commandaient la politique monétaire de la Banque centrale européenne sont bousculés. Elle devait rester indépendante des États et ne s’occuper que de maintenir l’inflation en deçà de 2 % par an. Elle devait être neutre dans sa pratique de refinancement des banques ordinaires et faire confiance en la prétendue efficience des marchés pour allouer les ressources financières là où il y en avait besoin.
Las ! À l’instar des autres grandes banques centrales, la BCE a dû revoir sa politique après la crise de 2007-2008 et ses répercussions en Europe. Et la crise due au Covid-19 a presque emporté quelques-unes des convictions les plus accrochées aux préceptes du néolibéralisme.La BCE a adopté une politique d’assouplissement monétaire : 2 800 milliards d’euros injectés de 2015 à 2019 ; puis, 1 850 milliards dans le cadre du PEPP (Pandemic Emergency Purchase Programme) en 2020 jusqu’en 2021 pour surmonter la récession due à la pandémie. Ces liquidités monétaires sont octroyées aux banques contre la remise de titres publics et privés. Parallèlement, elle a baissé progressivement son principal taux directeur jusqu’à zéro et même moins pour rémunérer les réserves des banques, officiellement pour faire repartir l’activité et un peu d’inflation, en réalité pour empêcher une dépréciation des actifs financiers et une crise des dettes souveraines, donc assurer la stabilité financière.
Des critères écologiques pour refinancer les banques ?
Mais les banquiers centraux sont confrontés aujourd’hui à un nouveau défi. Le monde subit une crise écologique majeure (réchauffement climatique, érosion de la biodiversité…). Aller vers une transformation des modèles productifs suppose des investissements massifs, estimés à 4 % des PIB par an pendant plusieurs décennies. Les banques ordinaires accorderont-elles des crédits en fonction de la qualité des investissements (par exemple vers des activités non carbonées ou peu carbonées) ou bien continueront-elles à financer les activités productrices et utilisatrices de combustibles fossiles ? Ensuite, les banques centrales exigeront-elles des titres répondant à des critères écologiques pour refinancer les banques ? Jusqu’ici, la BCE était adepte de la « neutralité de marché », refusant de trier entre les titres qui lui étaient présentés. Mais, au sein du directoire de la BCE, cette neutralité ne fait plus consensus. Christine Lagarde, sa présidente, et Isabel Schnabel, une économiste qui en est membre, ont pris position en faveur d’un refinancement conditionné par la qualité des titres. La soumission du crédit à des normes sociales et environnementales sera la prochaine bataille à gagner contre la finance capitaliste.
Jean-Marie Harribey, Économiste Atterré