Lancé dans la foulée du Grenelle de l’environnement en 2009, le premier plan Ecophyto s’était fixé pour objectif de réduire de moitié, en France, l’usage des herbicides, fongicides et insecticides à l’horizon 2018.
Cet objectif n’a aucune chance d’être atteint. Une étude publiée début mars par le ministère de l’Agriculture note que, loin de diminuer, l’utilisation de produits chimiques est au contraire en hausse. Le « nombre de doses unités » a augmenté de 9,4 % entre 2013 et 2014. Quant aux quantités de substances actives (QSA) des usages agricoles, elles ont augmenté de 16 % sur la même période.
Le ministère de l’Agriculture lance aujourd’hui son plan Ecophyto2 : l’objectif reste le même que le premier, à savoir une réduction de moitié, mais la date butoir a été repoussé à 2025. A-t-il une chance d’être atteint ? Pourquoi pas ! Ou du moins peut-on espérer qu’il enclenche l’inversion de la courbe pour faire baisser, peu à peu, l’utilisation des phytos.
Une étude de l’Inra
Cet optimisme, on ne le doit pas à une subite prise de conscience écologique du pouvoir en place. Ce dernier se concentrant sur l’économie, c’est d’elle que pourrait venir le changement. Une vaste étude réalisée par deux scientifiques de l’Inra (Institut national de la recherche agronomique), Denis Bourguet et Thomas Guillemaud, publiée en mars, révèle en effet que les coûts liés aux divers produits phytosanitaires sont supérieurs aux bénéfices qu’ils engendrent.
Pour cela, ils ont étudié les « coûts cachés » et les « externalités négatives » de leur utilisation. Ceux-ci touchent à divers domaines: la protection et le traitement des eaux polluées par ces substances, la prise en charge des maladies qu’elles provoquent (cancers, intoxications), les atteintes à la biodiversité qu’elles engendrent (toujours d’un point de vue économique, en prenant par exemple en compte la mortalité des abeilles et les manques à gagner en termes de pollinisation que cela entraîne), ou encore les dépenses d’argent public pour encadrer et contrôler leur utilisation.
Verdict : les produits phytosanitaires ont rapporté 27 milliards de dollars à l’économie américaine, mais ont coûté 40 milliards !
Santé publique
Ce travail d’experts de l’Inra montre que le discours sur la soit-disant rationalité économique d’une agriculture dépendant de l’utilisation massive des pesticides est largement basé sur des études incomplètes, qui ne prennent pas en compte la réalité des coûts sanitaires et environnementaux. (Serge Massau, journaliste spécialiste de la région.)
En tête des dépenses : le traitement des maladies provoquées par ces produits. Ce qui apparaît comme le poste de dépense le plus important reste le traitement des maladies chroniques liées à l’exposition à ces substances. Mais il existe très peu d’études permettant de chiffrer précisément ces coûts sanitaires. On dispose de beaucoup de travaux sur l’exposition au tabac et à l’alcool et leurs effets, par exemple, mais presque rien sur les pesticides. (Thomas Guillemaud, cité par Le Monde.)
Des coûts cachés… cachés ?
Egalement citée par Le Monde, l’économiste de l’agriculture Marion Desquilbet, tout en estimant que cette étude représente un « travail énorme », pense que l’usage des phytos coûte encore plus cher que ce qui est avancé : « [Les auteurs] n’ont ainsi pas pris en compte les effets des pesticides sur les malformations congénitales, de la surproduction agricole sur l’obésité, etc.
Il aurait aussi été possible d’inclure les “externalités sociales” liées à l’utilisation des pesticides : ces derniers jouent sur la taille des exploitations, l’emploi, le tissu social… » Ne devrait-on pas inclure, également, leur impact sur l’industrialisation de l’agriculture et donc leur participation au dérèglement climatique ? Comme le dit Marion Desquilbet, cette étude ouvre une « boîte de Pandore ». Conclusion logique de François Veillerette : « Il y a urgence à changer les modes de production agricoles actuels. »
Et encore, on ne vous a pas parlé de bien-être…
Nicolas Bérard
Sommaire du numéro 107 – Avril :
- ENFANTS TRAVAILLEURS AU PÉROU
Deux jeunes Péruviens, en service civique en France, militent dans un syndicat qui défend les enfants travailleurs. Rencontre. - ÉNERGIE CITOYENNE
A Puy-Saint-André, dans les Alpes, une société d’économie mixte co-financée par les habitants produit de l’électricité
« propre». Reportage. - DOSSIER 8 PAGES : NOTRE-DAME-DES-LANDES SUR LE CHEMIN DE LA ZAD
Ce mois-ci, nous sommes allés à la rencontre des opposants à l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. A quoi ressemble la vie sur la Zad ? Quelle est son économie ? Comment les occupants et les paysans prennent des décisions collectives, montent des projets, règlent leurs conflits ? - REPORTAGE : Quand le sandwich nourrit la lutte anti-aéroport
A Limimbout, près de Notre-Dame-des-Landes, Christiane et Claude élèvent des animaux et retapent une ancienne écurie pour y installer L’auberge des culs de plomb, malgré la décision d’expulsion prononcée à leur encontre. Ils vivent là depuis 15 ans et refusent de partir. Reportage. - Les pesticides pas si rentables
- Crise de l’élevage : les symptômes d’une Europe malade
- Agroforêt à Sumatra – Stations d’eau potable solaires au Cambodge
- Lire écouter voir – Ces nanomatériaux qui nous menacent
- Linky : les fausses économies de l’abonné
- Au Sénégal, des éoliennes marient le vent à l’eau
- Le marcheur et la poubelle – Montez dans le bus, faites vos courses !
- Rubrique naturopathie : la cure de sève de bouleau
- Fiche pratique : Fabriquer un cahier / La cure de printemps