Dans L’industrie du complotisme, Matthieu Amiech analyse le contexte dans lequel s’est développée cette tendance actuelle au complotisme : un monde technoindustriel systématiquement soutenu par les tenants du pouvoir alors que sa nocivité, notamment environnementale, ne peut plus être ignorée.
À L’âge de faire, journal libre, indépendant et courageux, nous n’avons pas peur de l’écrire noir sur blanc : ils sont partout ! Nous ne parlons pas des Illuminatii reptiliens* mais… des complotistes eux-mêmes ! Depuis une dizaine d’années, en effet, des théories plus loufoques les unes que les autres ont pu voir le jour – mais cela a sans doute toujours été le cas – et surtout se répandre à travers le monde, notamment avec les réseaux sociaux. Dans leur sillage est née toute une panoplie d’experts autoproclamés et de fact-checkeurs spécialisés dans la chasse aux conspis : les anticomplotistes. C’est à se demander ce qui est le plus répandu… et le plus dangereux : le complotisme ou l’anticomplotisme ? Dans L’industrie du complotisme, Matthieu Amiech constate en effet que « l’anticomplotisme, partant d’un phénomène réel, élargit le spectre du complotisme de manière inconsidérée, au point de mettre à l’index […] (presque) tout ce qui conteste les versions officielles ». Il n’est ainsi pas rare, et même fréquent, de voir des théories ou des idées être taxées de « complotistes » alors qu’elles sont simplement inexactes, totalement fausses ou même tout à fait raisonnables ! Celles et ceux qui ont avancé l’idée, par exemple, que le virus du Covid s’était répandu après s’être échappé d’un laboratoire à Wuhan ont aussitôt été cloués au pilori conspirationniste. Pourtant, rappelle Matthieu Amiech, « dire “des éléments indiquent que Sars-Cov-2 pourrait être un coronavirus travaillé en laboratoire” ne revient pas à dire “les Chinois ont diffusé un virus dangereux” ». Mais les anticomplotistes officiels ne font pas dans le détail. En témoigne cette définition proposée par le sociologue Gérald Bronner, un de leurs spécimens : « Par théorie du complot, il faut entendre simplement une interprétation des faits qui conteste la version officielle. » Pour parfaire le tableau, Emmanuel Macron a décidé de confier précisément à Gérald Bronner la présidence d’une commission chargée de lutter contre le complotisme…
« Paranoïa légitime »
Pour ne pas le mettre à toutes les sauces, il est donc nécessaire de « mieux circonscrire » le complotisme, affirme Matthieu Amiech. Il définit donc le phénomène comme « la lecture paranoïaque des faits, au-delà de ce qui peut être raisonnablement déduit de certains actes et des liens établis entre certains acteurs sociaux ». Ainsi, l’affirmation que l’épidémie de Covid a fait suite à une fuite accidentelle dans un laboratoire à Wuhan était peut-être imprudente, hâtive ou péremptoire lorsqu’elle a été formulée, mais ne pouvait pas être qualifiée de complotiste. C’est pourtant ce qui a été fait. Au final, les complotistes voient sans doute des complots partout, mais les anticomplotistes, eux, voient des complotistes partout ! L’auteur ne nie pas pour autant que le complotisme s’est bel et bien développé au cours des dernières années. Au-delà de l’aspect technique – internet, qui a permis la propagation de ces théories –, l’auteur suggère qu’elles sont le fruit d’une « paranoïa légitime », reposant sur « le fait que les grands dirigeants économiques et politiques ont décidé de manière claire que le développement industriel ne devait en aucun cas être remis en cause par la catastrophe écologique ».
Et, alors qu’il est de plus en plus visible que ce modèle nous mène dans le mur, la technostructure n’a de cesse, notamment à travers la numérisation du monde, d’accroître son pouvoir sur les simples citoyens. Ces derniers découvrent être, à leurs corps défendant, de plus en plus encastrés dans la Mégamachine, dépendants d’elle et dans l’incapacité de s’en extraire, alors même qu’ils prennent conscience qu’elle les mène à leur perte. « Mieux qu’un complot, un projet politique », analyse Matthieu Amiech.
Nicolas Bérard
* Théorie du complot par excellence, qui veut que le monde soit dirigé par des extraterrestres reptiliens ayant pris la forme d’humains.
> L’industrie du complotisme, de Matthieu Amiech, éd. La lenteur, 210 pages, 18 €.
Cet article est à lire dans le numéro 185, juin 2023 de L’âge de faire :