Ex-enseignante, Nicole Symonnot Gueye est atterrée par l’utilisation dans l’éducation de mots issus du champ de l’économie et de la technique. Exemple, avec le terme “mission”.
Le mois dernier , je m ’excusais platement d’avoir perdu l’un des livres qui va alimenter cette chronique. Évidemment, le bouquin n’a rien trouvé de mieux à faire que de réapparaître quand j’avais le dos tourné, à peine les fichiers du journal envoyés à l’imprimeur, sur l’étagère de la rédaction, où je l’avais cherché mille fois sans le voir… Bref.
Cet abécédaire s’appelle Des missions aux démissions*. Nicole Symonnot Gueye, au cours d’une longue expérience de l’enseignement en écoles de musique et du français langue étrangère à l’université de Rouen, a été « atterrée » par « les discours publics qui regorgent de mots empruntés aux domaines de l’économie et de la technique », dans le domaine de l’éducation comme ailleurs.
« Sachant combien la destruction d’une société commence par celle de sa langue, nous devons impérativement questionner cette expression aujourd’hui sujette à des détournements de plus en plus suspects », écrit-elle en introduction.
Outre les mots économiques et techniques qui envahissent l’ensemble de la société, Nicole Symonnot Gueye aborde avec un œil critique des notions omniprésentes dans les lieux d’enseignement : ennui, écoute, temps… Pour cette chronique, nous avons choisi le mot qui a donné son nom à l’ouvrage : Mission.
La réalisation d’objectifs…
« Inscrite au cœur même du service public, la notion de mission, pédagogique, artistique ou culturelle pour ce qui nous concerne, exprime l’idée d’un “aller vers“, tel l’ambassadeur, le religieux, aller vers les autres dans un but défini de façon suffisamment large pour laisser place aux chemins de traverse, aux rencontres, aux adaptations. Une relative liberté peut encor e se déployer dans l ’accomplissement d’une mission définie dans ses grandes lignes et n’appelant pas d’opérations comptables. Or, à une époque où tout événement doit être lisible sur les courbes de statistiques, par essence manipulables et partielles, la mission se convertit en la réalisation d’objectifs aisément présentables sous une forme chiffrée : nombre d’inscriptions dans les cours, pourcentage de réussite aux examens, etc. Autant de comptes qui contiennent les germes de la démission généralisée à l’œuvre dans la plupart des enseignements, puisque, au lieu de chercher à développer des capacités humaine, intellectuelle et critique, on remplit des colonnes de chiffres. »
LG
Photo : @ Pixabay
* Nicole Symonnot Gueye, Des missions au démissions, collection Traque aux Galimatias, Quartz Éditions, 2022, 56 p., 3 euros.