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Avec fougue, sagesse et beaucoup de sensibilité, cette jeune artiste franco-camerounaise creuse les questions du racisme, de la décolonisation et du féminisme… sans jamais se contenter des réponses toutes faites.
Elle n’a que 23 ans… et déjà presque un recul de vieille sage. Noémie Makota a grandi à Saint-Étienne, entre un père noir, venu du Cameroun et une mère blanche, française. Durant son adolescence, « les questions de racisme étaient très présentes. Mes parents étaient très black-blanc-beur, dans un esprit : “On est français, et fiers de l’être.” Leur génération pensait que la République pouvait intégrer toute personne française et républicaine. Ma mère m’a raconté qu’elle et ses amis étaient persuadés qu’il y aurait plein d’enfants métis, comme moi, et que le racisme allait s’arrêter ».
Après son bac, la jeune fille entre à Sciences Po, pensant y acquérir « des outils pour avoir un esprit critique ». Elle ressent plutôt une impression de « pensée unique » et n’apprécie pas « l’ambiance très “entre-soi” : il y avait des gens du monde entier, mais tous issus du même milieu ». Elle envisageait de travailler dans l’organisation d’évènements culturels, mais « je me suis imaginée au ministère de la Culture, habillée en tailleur, et ça ne m’a pas trop plu », sourit-elle.
Adieu Sciences Po, bonjour la fac : là, elle se frotte à « beaucoup plus de mixité sociale. Il y a eu le mouvement contre la loi travail, et j’ai rencontré des gens engagés, découvert des lectures qui m’ont passionnée, des points de vue très affirmés, à l’inverse de la fausse neutralité académique de Science Po… » Elle se documente sur les différents courants du féminisme et se plonge avec fougue dans l’afroféminisme, qui lui permet de voir sous un nouveau jour ce qu’elle a vécu depuis son enfance.
Ateliers dans les collèges
« Je n’avais aucune idée de la façon dont le monde a été façonné par l’histoire coloniale. Beaucoup de complexes liés à la race ont été créés, sur la peau, les cheveux… Si j’avais compris d’où viennent les représentations de la beauté, j’aurais vécu d’une façon différente cette espèce de crise identitaire qu’est l’adolescence. À l’école, on nous a parlé de la décolonisation de l’Afrique noire comme si elle s’était faite avec douceur et tranquillité. On vit avec une violence sous-jacente, mais elle n’a pas de nom, on ne la connaît pas. C’est quand on connaît l’histoire que l’on arrive à la dépasser. »
Noémie a pratiqué très tôt le théâtre, puis la danse. Elle commence à gagner sa vie en tant qu’artiste lorsque la chorégraphe Gaëlle Bourges lui propose de rejoindre son spectacle, Le Bain, dédié aux représentations de femmes nues dans l’histoire de l’art. Son engagement afroféministe résonne alors avec son travail aux côtés des autres femmes (blanches) de la compagnie.
« Le Bain nous a amenées à nous intéresser à la représentation des femmes noires dans la peinture occidentale », explique-t-elle.
Les questionnements de la jeune femme l’ont amenée à interroger son entourage, à pousser les gens qu’elle aime à se remettre en cause… non sans douleur.
En tournée une grande partie de l’année, Noémie apprécie d’avoir pris de la distance vis-à-vis des mouvements militants. Elle préfère maintenant aborder les questions qui la tiraillent à sa propre manière : sensible et artistique. « Le milieu militant reproduit une forme de violence dans laquelle je ne me reconnais plus, dit-elle. Quand tu es en train de danser avec d’autres, si tu ne les vois qu’à travers le prisme du genre et de la race, tu es toujours dans un rapport de force intime, qui réduit les personnes à des catégories. La vision politique est une grille de lecture du monde, mais ce serait hyper triste qu’il n’y en ait qu’une ! Il y a plein de grilles, et elles sont toutes liées. »
Apaisée mais toujours passionnée, elle creuse des pistes qui l’interpellent. Les spiritualités africaines la ramènent vers le pays d’origine de son père, et vers l’enjeu décolonial. « Au Cameroun, l’aspect spirituel et rituel de la lutte contre la colonisation était très important. La question, c’est : “Jusqu’où on va se décoloniser ?” Jusqu’à nos langues ? Jusqu’à nos âmes ? Jusqu’à notre rapport au tout, à l’univers ? »
Autres sujets de ses investigations : « La place de l’islam en Afrique noire, en tant que religion qui a été en partie imposée ; la traite négrière arabe, souvent omise ; et la question du racisme intracommunautaire. J’ai été touchée par ce racisme lorsque j’étais amoureuse d’un garçon turc dont la famille refusait notre relation. C’est une grande question, et c’est pour ça que j’ai envie d’aller dans les collèges. » En animant des ateliers avec des adolescents, Noémie souhaite les aider à dépasser la « violence sous-jacente » héritée d’une histoire méconnue. Avec l’espoir de « comprendre ce qu’est vraiment le racisme, et changer les croyances politiques pour changer la réalité ».
LG
1 – Documentaire sur les femmes noires issues de l’histoire coloniale européenne en Afrique et aux Antilles, sorti en 2017.