Des États en recherche perpétuelle de financements extérieurs, une agriculture pointée comme peu productive, et des législations parfois inabouties : à première vue, l’Afrique a tout du terrain de jeu idéal pour les multinationales de la semence. Et pourtant… Les promoteurs des biotechnologies ont beau répéter que « les OGM permettront de nourrir le monde », seuls le Burkina Faso, l’Egypte, l’Afrique du Sud et le Soudan se sont lancés dans la culture commerciale d’OGM, tandis que des essais sont menés dans sept autres pays. A la suite d’un grand colloque organisé par des organisations de la société civile, le Bénin a même interdit, de 2002 à 2013, la culture et l’importation des produits génétiquement modifiés.
Cette prudence n’est pas du goût de l’Institut international sur les politiques alimentaires (Ifpri), une structure internationale basée aux Etats-Unis. Dans un rapport publié en octobre, l’Ifpri estime que les Africains, au vu de la « faiblesse persistante » de leur « productivité agricole », ne peuvent pas se permettre de faire la fine bouche : il leur faut saisir de toute urgence les « innovations ». Ce rapport a été commandé par la Banque africaine de développement (Bad), qui commence à présenter les OGM comme une solution à l’insécurité alimentaire et au déficit économique du continent.
« C’est une nouvelle étape dans une offensive qui dure depuis des années », nous dit au téléphone Francis Ngang, agro-économiste ivoirien et secrétaire général d’Inades, un réseau de formation à destination des populations défavorisées. La Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) et l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa) travaillent déjà sur un cadre légal qui permettra l’introduction des OGM dans les pays membres. « Les promoteurs des OGM essaient de passer en force par les blocs régionaux », poursuit Francis Ngang. Une stratégie qui rappelle le lobbying mené par les multinationales auprès de l’Union européenne.[quote cite=”Francis Ngang”]La différence, c’est que les directives européennes laissent aux États une certaine souplesse dans l’application. Alors que les textes régionaux, en Afrique de l’Ouest, s’imposent de façon supranationale.[/quote]
Refusant que le débat sur les OGM soit ainsi confisqué, des associations de neuf pays de la zone ont créé en 2004 la Coalition pour la protection du patrimoine génétique africain (Copagen), qui « rêve d’une Afrique où les ressources génétiques et foncières sont co-propriétés de l’Etat et des communautés locales et sont mises au service de tous ». Ses membres s’inquiètent du risque économique et alimentaire induit par la pénétration des OGM dans la production de bananes, de millet, de sorgho ou de maïs. « Que se passera-t-il, en cas de crise, si on laisse s’imposer un monopole sur l’approvisionnement en semences ? »
Véritable poil à gratter africain, la Copagen a réussi à se faire entendre à la table des négociations sur le cadre légal encadrant les OGM. [quote cite=”Francis Ngang”]Nous nous battons encore sur le droit des communautés à se déclarer territoires sans OGM, la traçabilité des produits génétiquement modifiés, et l’imprescriptibilité des délits de contamination de l’environnement et des cultures par les OGM. Notre pétition a déjà recueilli plus de 100 000 signatures auprès des paysans.[/quote]
Les militants cherchent aussi, avec très peu de moyens, à donner aux paysans les connaissances nécessaires pour se prononcer sur les OGM. Francis Ngang coordonne une étude sur la culture du coton Bt, introduit par Monsanto au Burkina Faso. [quote cite=”Francis Ngang”]Quatre cent paysans relèvent des données dans leur champ de coton OGM. Ils veulent améliorer leurs revenus, et sont motivés par l’idée que des conclusions pourront être tirées de ce travail. Nous pensons que les OGM ne sont pas une bonne chose, mais nous ne détenons pas la vérité. Elle devra sortir du champ des paysans.[/quote]
Lisa Giachino