À Bruxelles, des soignant·es voulant faire leur métier autrement se déplacent à vélo pour leurs visites à domicile. Ils et elles défendent le « slow care » : prendre le temps pour des soins plus humains et plus écolo.
Gants, pansements, compresses, tensiomètre… Si l’on pensait que Flora partait en balade dans Bruxelles, on trouverait sa sacoche de vélo curieusement remplie. Mais il est 6h30 du matin, le temps est maussade et ce n’est pas pour le loisir qu’elle enfourche son deux roues. Flora est infirmière-sage-femme à vélo. En 2017, elle a fondé Wheel of Care, une association de soignant·es ayant opté pour la petite reine pour effectuer leurs visites à domicile dans la capitale belge. La philosophie du projet ? Le slow care (« soin lent ») : prendre le temps auprès de chaque patient·e de soigner avec humanité. À Wheel of Care, le tiers-payant est systématisé, ce qui permet de ne pas avoir à avancer le prix des soins. Pour les patient·es les plus précaires, les frais d’ouverture de dossier sont gratuits et des cagnottes aident les jeunes parents à s’équiper en matériel de puériculture.
Des soins lents sur un vélo rapide
À cette heure de la journée, on ne croise que des camions-poubelle et quelques employés matinaux. Sur son vélo bleu, Flora est parfaitement reconnaissable : le panier en acier arbore le slogan de l’association « Slow care on a fast bike » (« des soins lents sur un vélo rapide ») et un fanion blanc orné d’une croix bleue dépasse devant le guidon. « Les piétons nous parlent quand on s’arrête quelque part, ça fait partie des aspects sympathiques du vélo », raconte-t-elle. Avec les nombreuses pistes cyclables de la ville, l’infirmière arrive rapidement au premier rendez-vous de sa journée. Elle sonne à la porte d’un immeuble de briques rouges et s’annonce gaiement.
Christine, 68 ans, l’attend. Flora lave la retraitée, l’habille et l’aide à enfiler un bas de contention qu’elle porte au bras depuis un cancer du sein. « Avec certains infirmiers, il fallait que je sois déjà en peignoir à leur arrivée pour aller plus vite. Les soignantes de Wheel of Care prennent plus de temps. On discute toujours un peu. Comme je suis seule, j’ai besoin de parler à quelqu’un », raconte-t-elle.
Discuter avec les patients fait partie des pratiques habituelles à Wheel of Care. « Parfois, je vois Christine plus souvent que ma propre famille. On papote et ça me permet aussi d’identifier ses besoins », explique Flora. Une façon de faire de la prévention aux bénéfices de la santé des patients. « Les personnes précaires rechignent à se faire soigner, pour des questions d’argent notamment. En prenant le temps de discuter avec elles, on évite l’aggravation de leur situation. »
C’est après un stage de fin d’études au Cameroun et son expérience d’infirmière en chef à la Croix rouge dans un centre pour réfugié·es que Flora a lancé l’association. Grande cycliste, elle a pensé immédiatement au vélo. « J’ai toujours trouvé que le vélo dans une ville est le moyen de transport le plus intéressant. C’est écolo, pratique et ça nous évite les embouteillages », observe-t-elle.
Des infirmier·es idéalistes
Le vélo encourage aussi à s’équiper de manière minimaliste : les sacoches sont pensées pour contenir l’essentiel et dans un esprit de réduction des déchets. Autre avantage : il permet de « s’aérer l’esprit » entre deux visites et de rester pleinement mobilisé devant chaque patient·e. L’association rassemble aujourd’hui 19 membres : infirmièr·es, psychologues, sage-femmes et kiné. Les rendez-vous durent en moyenne entre 1 heure et 1h30, au moins le double d’une consultation classique.
En Belgique, comme en France, les infirmier·es sont payé·es à l’acte. « Ce système encourage à faire un maximum de patients en un minimum de temps pour mieux gagner sa vie », pointe Flora. « Nous on prend le temps, même si on n’est pas mieux payés. » La plupart des soignant·es de l’association complètent leurs revenus avec un travail salarié à l’hôpital ou dans une autre structure. « Financièrement, ce n’est pas intéressant », admet Flora.
Marine Forestier