De plus en plus de communes arrêtent de déléguer à des entreprises leur service de restauration scolaire. En reprenant la main, elles peuvent favoriser le bio local et le bien-manger.
Cédric Judas est restaurateur à Sarzeau, dans le Morbihan. Ses clients sont parmi les plus exigeants du métier : des enfants. Son gratin de chou-fleur doit être impeccable, bien gratiné, bien présenté. Il ne peut pas se permettre le moindre morceau solide dans la purée de potimarron, au risque de déclencher une épidémie de « Beurk ! », très contagieuse. Chaque jour, il renouvelle le défi : nourrir 650 convives et faire en sorte qu’ils se régalent. Il semble y arriver : « On jette beaucoup moins de nourriture qu’avant. » « Avant », c’était avant le passage en régie directe. « Avant », c’était l’époque où les cuisiniers déballaient du hachis-parmentier à réchauffer, où le poisson était obligatoirement pané – Sarzeau est une commune côtière –, où le panais n’était pas né…
Depuis la rentrée 2022, Cédric Judas a beaucoup plus de liberté pour s’approvisionner et cuisiner avec ses cinq collègues : « On refait à manger en cuisine », résume-t-il.
Avec les fonctionnaires municipaux
Corinne Jouin-Darras est adjointe au maire de Sarzeau sur les affaires scolaires, dont la restauration. Choix des fournisseurs, élaboration des menus, qualité nutritionnelle, gaspillage… « On a fait un diagnostic “de la fourche à la fourchette “, et on a pris conscience de choses qu’on avait envie d’améliorer. »
Le service de restauration scolaire était délégué à une entreprise privée qui s’occupait de tout ou presque. Pour reprendre la main, la municipalité n’a pas renouvelé le contrat et gère désormais le service en régie directe, c’est-à-dire avec les fonctionnaires municipaux. Sarzeau n’est pas la seule commune à avoir fait ce choix. À l’image de la municipalisation de la gestion de l’eau, la gestion directe des cantines scolaires a le vent en poupe. « Les élus s’y intéressent pour des questions de coût pour la collectivité, car les prix flambent depuis deux ans. Quand le service est délégué, ils n’ont pratiquement aucune marge de manœuvre. Mais on voit aussi dans beaucoup de communes l’envie de refaire une politique publique autour de l’alimentation. Avec la restauration, on touche bien sûr au plaisir de manger mais aussi à l’approvisionnement bio et local, donc à l’activité économique, au foncier… », explique Valentin Cèze, chargé de mission à la Fédération nationale de l’agriculture biologique (Fnab), principale instance de la bio en France, côté fourche.
Panais, panique ?
La restauration collective est bien sûr un débouché économique potentiel pour les agriculteurs, mais un débouché semé d’embûches, en particulier administratives, que l’on pourrait résumer en deux mots : marché public. Si, en plus, côté fourchette, l’administration concernée a délégué sa compétence restauration, il y a peu de chances qu’au final, l’appel d’air de la loi Egalim, qui impose 10% de bio dans les assiettes, bénéficie aux agriculteurs du territoire. Et la bio industrielle de ramasser la mise.
Aujourd’hui, l’offre est bien structurée : les agriculteurs bio se sont réunis en plateformes territoriales pour répondre d’une seule voix aux appels d’offre des collectivités. Encore faut-il que ces dernières, habituées à déléguer les commandes, sachent comment s’y prendre ! « Via les groupements locaux*, on accompagne les communes pour la rédaction des appels d’offres et tout le versant administratif de l’approvisionnement, explique le chargé de mission. On propose aussi un accompagnement pour les cuisiniers, on leur fait découvrir les produits comme le panais, des idées de recettes… Oui, à l’image de la population, il peut y avoir un blocage de la part des cuisiniers sur le bio qui a une mauvaise image, souvent opposé dans les esprits au local. »
Plus cher, vraiment ?
Cela n’a pas été le cas à Sarzeau. Pas besoin de convaincre Cédric Judas que le « bio local, c’est l’idéal ». D’expérience, il connaît « l’envers du décor » de la restauration déléguée aux entreprises privées. Il présente d’ailleurs son travail actuel comme militant : « Je me bats pour que tous les jours, 650 gamins aient un bon repas. » Les outils de la lutte de ce midi : rillettes de maquereau « avec du fromage frais et du citron », blanquette aux petits légumes – « on a épluché 70 kg, j’ai récupéré le jus de cuisson pour faire une sauce » –, du brie « pas emballé », et un moelleux à la pêche avec des pépites de chocolat. « C’est sûr, y a une certaine fierté de l’équipe à voir les enfants qui se régalent avec les gâteaux. Ça change vraiment le métier. »
Et le prix du repas ? La reprise en régie directe demande bien entendu plus de travail, donc plus de moyens. Mais, à en croire Corinne Jouin-Darras, la facture est beaucoup moins salée que ce que laisserait penser le changement de contenu des assiettes. « En 2020, on était à 8,97 euros. Maintenant, on est à 9,13 euros. » Quant aux parents, ils paient en moyenne 3,04 euros, avec 8 échelles de quotients familiaux. De quoi confirmer les propos de Valentin Cèze : « Atteindre les objectifs de la loi Egalim est avant tout une question de volonté politique. »
Fabien Ginisty