Porte-parole de la Confédération paysanne, Laurence Marandola revient avec nous sur les mesures gouvernementales destinées à apaiser les professionnel·les du monde agricole. Selon elle, ces mesures ne répondent pas aux vrais problèmes et marquent un recul extrêmement important sur le plan environnemental.
L’âge de faire : Un mois après le mouvement de contestation du secteur agricole, quel regard portez-vous sur les solutions apportées par le gouvernement ?
Laurence Marandola : Il y a quelques mesures d’urgence pour des paysans qui avaient vécu des tempêtes, des inondations, la MHE (maladie hémorragique épizootique), etc. Tout n’est pas parfait, loin de là, mais disons que c’est une bonne chose. Pour le reste des 62 mesures, il y a tout et n’importe quoi, dont beaucoup de mesures qui vont affaiblir les dimensions environnementales, sociales, de droit du travail, et qui ne sont pas de nature à répondre à la crise. Ce qui nous fait dire que, probablement, le mouvement n’est pas terminé. La question principale est celle du revenu des agriculteurs et des prix, qui est le seul moyen d’aborder la transition écologique et l’adaptation de l’agriculture au changement climatique. Et ce problème n’est pas traité.
Mais il existe des modèles agricoles tellement différents que, concrètement, le gouvernement ne peut pas satisfaire à la fois la FNSEA et la Confédération paysanne…
Pendant le salon de l’Agriculture, Emmanuel Macron s’est engagé à recevoir tous les syndicats vers le 15 mars. Puis ça a été repoussé à aujourd’hui [le 19 mars, Ndlr], et finalement, seuls la FNSEA et les Jeunes Agriculteurs ont été reçus. On voit bien pour qui ils roulent… Mais je pense qu’aujourd’hui, ça va encore plus loin : le gouvernement répond uniquement aux exigences des patrons de la FNSEA, mais pas celles des adhérents du syndicat, éleveurs, légumiers, petits céréaliers… C’est pour ça que ça a clashé au salon de l’Agriculture, alors qu’Arnaud Rousseau (le président de la FNSEA) ne le souhaitait pas. Il s’est fait totalement déborder par ses adhérents.
Le gouvernement est prisonnier du système qu’il a co-construit avec la FNSEA depuis des décennies, et on voit bien qu’il ne s’adresse qu’à Rousseau pour faire cesser le mouvement, mais peut-être que cette fois ça ne fonctionnera pas.
Il existe donc une véritable cassure entre les dirigeants de la FNSEA et la base du syndicat ?
Clairement. Il n’y a pas un agriculteur en France qui ne connaisse pas des gens de sa famille, des proches, des voisins, des collègues qui ont subi des maladies graves liées à l’utilisation de produits phytosanitaires. Être dans ce déni-là sur les questions de santé publique et de pollution de l’eau, c’est ahurissant. Une récente étude a montré que 85 % des agriculteurs étaient prêts à changer leurs pratiques. Ça ne veut pas dire qu’ils iront jusqu’à se convertir en bio, mais ça montre qu’il y a une conscience du problème. Or le recul en matière environnementale est extrêmement important. Il n’y a plus du tout de condition environnementale pour toucher les aides de la PAC, le plan écophyto a été mis sur pause, il n’y a plus de ZNT (zone de non traitement)… Ils envisagent de déréglementer la construction des gros ouvrages hydrauliques, autrement dit des méga-bassines, la création d’élevages industriels, on parle aussi du retour des OGM… Et les dirigeants de la FNSEA disent qu’il y a encore quelques points d’achoppement, sur des questions de produits phytosanitaires. Je ne sais pas ce qu’ils veulent de plus ! On pense qu’ils veulent obtenir la ré-autorisation de certains produits interdits.
Macron a aussi parlé d’instaurer des prix plancher. C’est quelque chose que vous réclamiez ?
Nous avions demandé d’instaurer un prix minimum pour l’ensemble des produits, afin d’interdire les prix qui ne couvrent pas nos charges, nos coûts de production, la rémunération de notre travail et la protection sociale. Ça doit s’appliquer à tout : fruits et légumes, lait, viande, miel… Mais cette mesure est inopérante si elle est prise seule. Il faut l’assortir de la régulation des volumes de production. D’ailleurs, tout allait mieux dans les filières betterave et lait quand il y avait des quotas. Il faut aussi l’assortir de l’application de la loi Egalim (1) concernant la restauration collective, qui représente de gros marchés. Et enfin, il faut des mesures pour affaiblir la concurrence intra-européenne. Ça veut dire s’attaquer à l’ultra-libéralisation de l’agriculture. On a besoin de régulation, et si on ne retire pas l’agriculture des accords de libre échange, ça va être impossible.
Justement, on en est où de ces accords ?
Pendant le salon de l’Agriculture, l’Europe en a encore signé deux, avec le Kenya et le Chili ! Un nouvel accord avec la Nouvelle-Zélande avait été signé en décembre. Là, il y a un accord en préparation entre l’UE et le Mercosur (2). La France continue de dire qu’elle ne le signera pas « en l’état », mais les négociations se poursuivent, donc elle ne ferme pas la porte… Si on continue à traiter l’agriculture et l’alimentation comme n’importe quelle marchandise, clairement, on n’y arrivera pas. À chercher toujours le meilleur prix, c’est le moins disant environnemental et social qui va gagner.
Recueilli par Nicolas Bérard
1- Loi « pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et une alimentation saine et durable ».
2- Zone économique constituée de l’Argentine, du Brésil, du Paraguay et de l’Uruguay.