La FNSEA en a rêvé, le gouvernement l’a fait : un décret de dissolution des Soulèvements de la Terre a été adopté en conseil des ministres, le 21 juin. Le lobbying du syndicat agricole majoritaire, qui ne supporte pas que son modèle agro-industriel soit remis en cause (1), a rencontré la volonté macroniste d’étouffer toute contestation de l’ordre présidentiel établi. Motif de cette dissolution : la « violence », qui réunit sous une même condamnation sabotages, occupations, participation à des manifestations interdites et affrontements avec les forces de l’ordre.
Manifestement, la « violence » n’est pas jugée de la même manière selon qui la commet. Le site Global (2) a publié un florilège d’actions de la FNSEA, menées entre 1961 et 2023 : mises à sac d’une permanence d’élu, d’un centre d’impôts ou d’un supermarché ; incendie de carcasses d’animaux arrosées de fuel ; séquestration d’une ministre ; blessures infligées à des policiers et gendarmes… Le Syndicat national des exploitants agricoles n’a pourtant jamais été menacé de dissolution. Et pour cause : comme son nom l’indique, il est conforme au modèle productiviste. Celui qui impose de creuser des mégabassines pour pomper l’eau des nappes phréatiques, d’exploiter des carrières pour bétonner, ou de remplacer champs et forêts par des autoroutes ou des panneaux photovoltaïques.
Ce n’est donc pas une question de violence, mais bien de rapport de forces et de vision du monde, qui pousse le gouvernement à dissoudre les Soulèvements. Le mouvement a entamé des recours juridiques, auxquels on peut s’associer officiellement et/ou financièrement (voir sa dernière publication sur sa page Facebook, désormais gelée). Il appelle à poursuivre les « surgissements », sous quelque bannière que ce soit. Des actions sont prévues cet été, portées par d’autres organisations – voir p. 4 et 22 de L’âdf numéro 186. Et pour nourrir l’envie de résister, on peut mettre le nez dans le livre On ne dissout pas un soulèvement, écrit à 40 voix sous forme de glossaire (3).
Au chapitre « composition », Blue Monk décrit ce qui, sans doute, inquiète réellement le gouvernement. Plutôt que les classiques « alliances » ou « fronts », fondés sur « l’unanimité entre les parties », la « composition » ne cherche pas à effacer les contradictions. Jeunes activistes pour le climat, habitant·es en lutte, paysan·nes, partisan·es de l’autonomie politique, et une multiplicité de groupes… « S’il avait fallu les réunir sur la base d’un accord politique et théorique préalable, ils se seraient entre-déchirés sur des questions aussi fondamentales que le rôle de l’État, l’exercice de la violence politique, l’analyse des causes de la catastrophe écologique, la question démocratique, écrit Blue Monk. Chaque force prise isolément fait face à sa propre impasse : frénésie activiste, localisme, cogestion syndicale, fétichisme de l’émeute, etc. Mais parce que ces forces jouent ensemble, des déplacements et des dépassements adviennent. Elles le font sans chercher à se convaincre ou se convertir, mais dans l’écoute attentive, depuis une sensibilité au diapason. Elles éprouvent ainsi l’harmonie des dissonances, comme la note bleue dans le jazz. »
Alain Damasio semble lui répondre en faisant appel à notre joie qui « monte des ruisseaux, des tourbes, des garrigues, des friches (…) Elle croit aux castors qui lovent l’eau dans leur barrage amoureux, plutôt qu’aux digues de béton brut qui la force vers la mer en laissant le monde sec. Tous les pouvoirs ont intérêt et vocation à nous attrister. Un humain triste se brise plus facilement. La joie, ça fléchit mal. Ça ne plie guère. La joie, ça n’obéit pas. »
Lisa Giachino
1 Reporterre, Comment la FNSEA a eu la peau des Soulèvements de la Terre, 21 juin 2023.
2 Global, Le pas de trop ?, 1er avril 2023. 3 Seuil, 2023, 11,50 €. Droits d’auteurs versés aux Soulèvements de la Terre.