Pour faire du stop, mieux vaut avoir quelques trucs et bidouilles dans son sac à dos. En contournant les villes ou en se plaçant correctement sur la route, de beaux moments de causerie avec les conducteurs sont au bout. Reportage sur les routes de Provence, les pieds sur le bitume et le pouce en l’air.
Un sourire, un clignotant et une vitre baissée… Rien de mieux pour rendre un autostoppeur heureux. « Vous allez où ? » « Où vous voulez ! » « Alors montez ! » Après quinze bonnes minutes à poireauter à la sortie d’un rond-point de Saint-Auban (Alpes-de-Haute-Provence), une première voiture s’arrête sur le bas-côté et m’emmène en direction d’Aubagne, au nord de Marseille. Me voilà à bord de la Peugeot de Christophe, presque 60 ans, bassiste passionné par les geais et les chênes centenaires. Le conducteur rentre chez lui après quelques jours de repos près de Sisteron. Tout heureux de partager sa route avec un auto-stoppeur. « Ma devise ? Bas les masques ! Même en cette période de coronavirus, le stop c’est une belle façon de voyager quand on n’a pas forcément les moyens. Et puis ça permet de rencontrer des gens. Je dirais même d’attirer des gens. C’est ça la vie, sans ça, on se dessèche et on meurt ! », philosophe-t-il.
Macadam massacre
Pendant plus de deux heures, on enchaîne les garrigues et les champs de lavande. Avec pas mal de détours entre le Vaucluse, le Var et les Bouches-du-Rhône, où chacun se surprend à se confier sur son rapport au bonheur, à autrui et à la vie. Un réflexe naturel pour beaucoup d’adeptes de l’auto-stop.
« Dans une voiture, on ouvre une boîte temporelle. On parle, on se confie vachement. C’est une chouette tradition, mais aussi une petite folie. C’est la beauté du truc. » lance Clarisse Delaville, présidente de la compétition de stop suisse Pousse-pouce (voir p. 11).
Arrivés dans la contrée de Pagnol, Christophe me propose un verre et un plat du jour dans un restaurant sans chichis. Le matin même, chacun menait sa petite vie sans connaître l’autre. Et nous voilà en train de trinquer autour d’une mauresque. Mais il faut déjà songer à remonter. Tout d’abord : retrouver son chemin et « poucer » dans la bonne direction. Puis, se placer juste après un feu rouge, une intersection ou un rond-point, lorsque l’automobiliste est ralenti : ces endroits stratégiques avec de la place derrière pour stationner sans gêner. Le plus dur n’est pas de trouver un chauffeur prêt à s’arrêter, mais le bon endroit pour qu’il puisse le faire en sécurité. Ensuite, il n’y a qu’à jeter le pouce en l’air, en étant bien droit, visible et souriant. Un petit geste sympa pour saluer les automobilistes et le tour est (presque) joué.
Et puis, il y a les villes. L’enfer des auto-stoppeurs, car il est très difficile d’en sortir. Comme à Aix-en-Provence, presque entièrement ceinturée de routes interdites aux bipèdes. Eddy vient de m’y déposer, à l’entrée d’une rocade en macadam. Là, toutes les voitures s’élancent à plus de 100 kilomètres à l’heure. Personne ne s’arrête durant une longue demi-heure. Et pourtant, il n’y a qu’un seul passager dans la grande majorité des voitures. Ne reste plus qu’à enjamber les glissières de sécurité et à traverser toute la ville à pied.
Parler avec les yeux
Découragé, un peu paniqué et suant sous le soleil, les minutes filent à toute allure. À deux doigts de rejoindre la gare pour prendre un train, mes godillots prennent le relais. Pas le temps de visiter la ville. Il faut vite sortir du dédale de zones industrielles et de béton. Dans les villes, les voitures défilent, mais on s’y sent très seul. Paumé et abandonné. « L’attente, c’est le moment où l’on doit faire preuve d’imagination », conseille Marie-Astrid Guégan, présidente de l’association étudiante Stop’n’go. « Face à moi se succèdent les expressions de conducteurs navrés de ne pouvoir me prendre, ou plus souvent des regards furtifs suivis d’une superbe ignorance, raconte le réalisateur Siméon Baldit de Barral. Puis, au fil des refus, je glisse naturellement dans une acceptation de ce qui arrive. Savoir recevoir sans exiger : une règle de vie que le stop dévoile bien vite. Et qui permet d’apprendre à attendre dans la joie. » (1)
Commence alors un jeu de regards avec les conducteurs. En une poignée de secondes, il faut maintenir le regard et être très actif. Lancer un dialogue avec les yeux. Partis en couple pour un tour de France en stop, Pierre-Élie Dubois et Anouk Dupin ont pu radiographier les conducteurs de tout l’Hexagone. Dans leur inventaire à la Prévert, il y a les anciens aventuriers qui ont levé le pouce autrefois et qui aiment raconter leurs péripéties de jeunesse. Ceux qui sont en galère dans la vie et s’identifient aux stoppeurs posés sur le bord de la route. Les parents qui prennent des jeunes, car leurs enfants en font aussi. Les bienfaiteurs qui veulent faire leur bonne action du jour. Et puis les premières fois qui ne s’expliquent pas.
« Un jour, une femme avec un bébé à l’arrière nous a croisés et a fait demi-tour pour venir nous prendre. Alors qu’elle n’avait jamais pris d’auto-stoppeurs de sa vie. Elle-même ne savait pas pourquoi elle avait fait ça, ce jour-là. »
L’autoroute sur le pouce
Et voilà que s’arrête la grosse BMW blanche d’Hélène. « Vous êtes tombé sur la bonne personne, s’amuse-t-elle, je vais vous sortir d’ici. » Ce n’est pas tous les jours qu’un SUV (ultrapolluant au demeurant) s’arrête pour embarquer un stoppeur en détresse. Elle décide de poursuivre pour me déposer à un carrefour. Après une poignée de minutes, le placide Yves, qui se définit lui-même comme « un vieux con qui n’hésite pas à faire un détour », me pousse quant à lui jusqu’à un péage de Provence. Tous les auto-stoppeurs diplômés connaissent les avantages de l’autoroute. Ce paradis privatisé est un moyen d’aller vite et loin. « On peut aussi interpeller directement les conducteurs dans les aires ou les stations-services. Lorsqu’ils remplissent leur réservoir, ils sont un peu coincés et obligés de t’écouter », continue Clarisse Delaville.
Juste avant la barrière de péage (2), l’auto-stoppeur doit soigner son apparence. Il est difficile, parfois, de capter les automobilistes pressés. Mieux vaut avoir une allure propre pour pouvoir pénétrer dans leur confort à 130 km/h. Et attention aux agités du télépéage !
Car même la route a sa collection printemps-été. Aux yeux des automobilistes, l’habit fait bien souvent l’auto-stoppeur. Et certains ont même un costume fétiche pour tendre le pouce, qui tient autant de la superstition que du confort et de l’apparence. À l’arrière des pick-ups d’Amérique latine, Mathieu (voir p. 11 du journal papier) a rencontré de vrais pros du pouce tendu.
« Il y a des aficionados du stop, qui se lancent des défis. Un jour, j’ai même rencontré quelqu’un avec une salopette jaune-orange de chantier qui m’a expliqué que c’était sa combinaison de stop. »
Outre le gilet jaune pour la sécurité, il faut privilégier des vêtements clairs et classiques pour être visible. Un jean et un tee-shirt feront parfaitement l’affaire. Après quelques minutes seulement, Jérémy le menuisier s’arrête. Puis, c’est Jehanne qui sera ma dernière conductrice du jour. La jeune femme de 20 ans, qui fabrique des pièces en sous-traitance pour « éviter que le nucléaire ne nous pète à la gueule », engage une conversation autour de l’atome. La conductrice rentre chez elle, près de Manosque. Biberonnée à prendre des auto-stoppeurs avec ses parents, elle n’hésite pas une seconde à faire un détour de plus de 30 kilomètres pour m’emmener à bon port.
Le lendemain, Christophe, le premier conducteur, m’envoie un message : « Alors, comment s’est passé ton retour ? » Très bien, merci. En quelques heures, dix pilotes se sont arrêtés entre Sisteron et Aubagne. Malgré « tout ce qu’on voit et ce qu’on entend de nos jours », malgré le coronavirus masqué et la chute du PIB, une chose est sûre : il y a encore du stop en stock.
Clément Villaume
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1 – Les Facéties du stop, Siméon Baldit de Barral, éditions Transboréal
2 – En France, le stop est interdit sur les autoroutes, puisqu’elles sont interdites aux piétons. Il est cependant toléré au niveau des entrées de péages et des aires de repos.
Numéro 153 – Juillet-Août 2020
Levons le pouce !
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Dossier 4 pages : Levons le pouce !
À l’heure des sites de covoiturage, l’auto-stop est presque devenu marginal et effrayant. Pourtant, certains continuent de lever le pouce, pour voyager écolo à travers le monde, aller faire leurs courses ou s’amuser entre potes. Malgré l’attente au bord de la route, les détours inattendus et les averses de pluie, les auto-stoppeurs carburent toujours aux expériences et aux rencontres. Ce qui les rend simples, joyeux. Et libres !