Nathalie Coutinet, économiste atterrée
Cela fait presque un an que la Commission Européenne est entrée en négociation, au nom des 28 Etats membres de l’Union, avec les Etats-Unis afin d’établir une vaste zone de libre-échange : TAFTA.
L’enjeu de ces négociations est de baisser, voire d’éliminer, les différentes barrières aux échanges, c’est à dire les Droits de douanes et les Barrières non tarifaires. Les droits de douane entre les deux puissances étant déjà très faibles, le véritable enjeu concerne les « barrières non tarifaires », c’est à dire l’ensemble des « normes » et des réglementations qui encadrent la production et la circulation des biens et services. Ces dernières expriment généralement des préférences sociales et culturelles et contribuent à dessiner des « modèles de société ». Cela se traduit notamment par le fait que les Européens appliquent dans de nombreux domaines – santé, agriculture, l’alimentation… – le principe de précaution, tandis que les Américains appliquent le principe de la preuve (c’est aux consommateurs de « prouver » que le produit est nocif). L’agriculture constitue un secteur exemplaire : les Américains mangent du bœuf boosté aux hormones ou des volailles chlorées, lesquelles sont interdites dans l’UE.
Cependant, la disposition la plus inquiétante concerne la protection des investisseurs. Au nom d’un décrété « traitement juste et équitable », des entreprises auraient le droit de s’opposer à un Etat ou une collectivité locale dont elles estimeraient les décisions contraires à leurs intérêts. Et ces contestations seraient conduites non pas devant une juridiction étatique mais devant des arbitres internationaux « indépendants »… C’est ainsi qu’une compagnie américaine qui exploite du gaz de schiste a obtenu 151 millions d’euros de dédommagements parce que l’Etat québécois a instauré un moratoire sur l’exploration de ce gaz.
Cet accord profiterait donc principalement aux grandes multinationales. Négociés dans le secret, Tafta aurait, au mieux, des retombées macroéconomiques extrêmement faibles : de l’ordre de 119 milliards de dollars par an pour l’Union Européenne sur une période de 10 ans (CEPR, 2013).
Dans le même esprit, l’Union européenne négocie, toujours en secret, avec 23 autres pays dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce, un accord dénommé TISA, sur le commerce des services, qui vise une libéralisation totale, c’est à dire une ouverture à la concurrence du « marché des services », y compris les services publics.