Par Mireille Bruyere, Economiste atterrée
L’attaque récente contre le Smic par le président du Medef Pierre Gattaz, à la suite de Pascal Lamy quelques jours auparavant, n’est pas nouvelle. Depuis des années, certains milieux patronaux et des économistes attribuent une grande partie du chômage à un niveau trop élevé du Smic. Ces attaques se fondent sur quatre constats. D’abord, le Smic s’applique à tous les salariés indépendamment de leur âge, qualification et lieu de résidence.
Son évolution est en partie automatique, en fonction de l’évolution de l’indice des prix à la consommation et d’un indicateur de l’évolution du pouvoir d’achat. Ensuite, le niveau du Smic est élevé relativement au salaire médian, si on compare la France aux autres pays européens. Enfin, en France, la part des salariés payés au Smic est élevée (12,3 % en 2013). De ces constats, ils déduisent que le Smic détruirait massivement, par son niveau, des emplois non qualifiés.
Lier le niveau du Smic et le niveau du chômage s’appuie sur une vision selon laquelle le chômage est seulement le résultat de la rencontre entre l’offre et la demande de travail, à l’exclusion d’autres variables macroéconomiques comme la répartition des revenus ou la demande de consommation et d’investissement. Dans ce monde, s’il existe du chômage, cela ne peut avoir que deux causes : le coût du travail est trop élevé et/ou les chômeurs choisissent de ne pas travailler car le salaire est trop faible à leur yeux. Certains individus ayant des productivités inférieures au Smic, leur embauche ne serait pas rentable pour les entreprises. Ainsi, baisser le Smic pour certaines catégories faiblement productives (les jeunes, les travailleurs sans qualification) augmenterait leurs chances d’avoir un emploi.
Le raisonnement est faux économiquement et dangereux socialement. Premièrement, il est problématique de prétendre que la productivité est une affaire individuelle. Bien sûr, les capacités des individus pour les différents emplois ne sont pas les mêmes. Mais, ces capacités ne sont que des conditions de la création de la valeur ajoutée qui, elle, est fondamentalement le résultat du travail collectif de l’ensemble de l’entreprise. Comment mesurer la productivité d’une caissière, indispensable au fonctionnement d’un magasin ?
LE COÛT DU TRAVAIL N’EST PAS LA CAUSE PRINCIPALE DU CHÔMAGE
Deuxièmement, le coût du travail n’est pas la cause principale du chômage des moins qualifiés. Cela fait plus de vingt ans que la France agit sur le coût des bas salaires. Depuis 1993, l’exonération des cotisations patronales sur les bas salaires s’est étendue à plus de 56 % des emplois. Ces exonérations coûtent à l’Etat plus de 20 milliards d’euros par an. Pourtant, elles ne créent que peu d’emplois tant l’effet d’aubaine est important. La baisse du Smic pourrait amplifier encore la baisse du coût du travail. Mais à ces effets peu significatifs sur l’emploi, s’ajouteront cette fois une baisse du revenu des salariés les plus pauvres. Au-delà d’un simple raisonnement économique, le salaire minimum contribue à la cohésion sociale comme à la cohésion interne à chaque entreprise. A ce titre, ne serait-ce pas plus pertinent de réduire les écarts maximums de revenu, soit par un impôt sur le revenu fortement progressif, soit par une forte taxation des salaires et autres revenus exorbitants ?