A quelques mois des élections européennes, le gouvernement s’est lancé dans une campagne pour mettre en place une taxation spécifique sur les seuls géants du numérique comme Google, Apple, Facebook et Amazon (GAFA).
Il est indéniable que le niveau d’imposition effectif sur les bénéfices de ces sociétés est tragiquement bas. Mais cette campagne pourrait occulter le caractère massif et multidimensionnel de l’évasion fiscale.
En outre, elle est à l’exact opposé de la politique bien réelle d’injustice fiscale menée par le gouvernement en France, une injustice fiscale à l’origine du mouvement des Gilets jaunes. Les évolutions économiques et technologiques du capitalisme ont permis à de très grandes entreprises de profiter des progrès du numérique pour dématérialiser leur chaîne de production.
À la faveur de ces évolutions, ces multinationales peuvent ainsi profiter d’une grande souplesse dans le choix de la localisation de leur production, afin de payer moins d’impôt et de contourner les cadres juridiques contraignants. Elles choisissent où déclarer les bénéfices et où facturer les ventes selon les offres fiscales et légales les plus intéressantes.
L’évasion fiscale atteint des dimensions gigantesques s’agissant des impôts sur les sociétés et sur le revenu des plus riches. Les dispositifs fiscaux de chaque pays de l’Union européenne (UE) présentent une telle diversité que, pris ensemble, ils font système et permettent de répondre à toutes les attentes des entreprises et des plus riches.
Au final, la concurrence fiscale a conduit à une baisse généralisée des taux d’impôts sur les sociétés des pays de l’UE.
Désarmement fiscal
Certes, l’initiative française permet d’éclairer le problème de l’évasion fiscale. Mais, la taxation proposée par la France paraît notoirement insuffisante. D’abord, elle ne concerne qu’une petite partie de l’évasion fiscale qui est le fait de toutes les multinationales, numériques ou pas.
Ensuite, cette stratégie de taxation spécifique risque de retarder, voire d’ajourner, une véritable lutte contre l’évasion fiscale de toutes les multinationales. Pour lutter efficacement contre l’évasion fiscale, la France devrait plutôt œuvrer à la mise en place d’une véritable harmonisation fiscale au niveau européen plutôt que de se focaliser sur cette seule taxation des GAFA.
D’ailleurs, cette taxation risque de ne pas voir le jour puisque l’Allemagne a exprimé son désaccord. La proposition française pourrait bien être un trompe-l’œil. En effet, jusqu’ici, le président Macron n’a eu de cesse de baisser les impôts sur les entreprises et sur les ménages les plus riches en supprimant l’ISF (Impôt de solidarité sur la fortune) et en prévoyant d’abaisser les impôts sur les sociétés de 34 % à 25 % au cours de sa mandature.
Le désarmement fiscal envers les plus riches est une tendance globale du néolibéralisme, un régime dont la logique profonde est la production des inégalités.
Mireille Bruyère, économiste atterrée