Depuis peu, les lois ne discriminent plus les Voyageurs en fonction de leur origine. Mais, outre le racisme persistant, le mode de vie en résidence mobile se heurte à de nombreuses difficultés, à commencer par… l’accès au foncier. Explication et rapide état des lieux avec William Acker, délégué général de l’Association nationale des gens du voyage citoyens.
L’âge de faire : Qui sont les « gens du voyage » dont on parle souvent dans les médias ?
William Acker : C’est une catégorie administrative. En 1969, les « gens du voyage » ont remplacé les « nomades », un statut créé en 1912 pour permettre le fichage de ce que la norme appelle « les Tsiganes », avec tous les préjugés qui vont avec. C’est sur la base de ce fichage ethnique que les nomades ont subi de nombreuses discriminations légales, jusqu’au paroxysme : leur internement dans des camps de 1940 à 1946. La catégorie « gens du voyage » a expurgé les critères ethno-culturels. Mais l’ambiguïté a persisté dans le traitement administratif. Ainsi, encore récemment, dans la loi Besson 2 de 2 000 sur les aires d’accueil, le législateur précise que les gens du voyage se caractérisent par leur « habitat traditionnel en résidence mobile ». Pourquoi préciser « traditionnel » ? Qu’a voulu dire le législateur ? Qu’on naît « gens du voyage », et qu’on doit être distingué, par ses origines, des touristes en caravane ou des saisonniers vivant en camion ? Il faudra attendre 2017 pour qu’une loi enterre définitivement celle de 1969.
Pour autant, il y a toujours une Commission nationale consultative des gens du voyage, de nombreuses politiques publiques spécifiques pour les « gens du voyage »…
La dénomination est en effet restée dans les politiques publiques. Officiellement, sont aujourd’hui considérés comme « gens du voyage » toutes les personnes dont la résidence principale est une habitation mobile. L’approche ethnique a donc théoriquement disparu, mais cela reste ambigu. On trouve par exemple des sous-catégories administratives pour les « Gens du voyage sédentaires »… Il serait plus clair d’en finir avec toute catégorisation.
Donc si je vis en camion ou en camping-car à l’année, je peux utiliser les « aires d’accueil pour gens du voyage » ?
Tout à fait. Aujourd’hui, théoriquement, à partir du moment où vous vivez en caravane ou en camping-car, vous pouvez accéder à ces lieux. Mais les réflexes racistes sont très ancrés. Par exemple, on va encore trouver dans beaucoup de règlements intérieurs l’obligation de prouver son « appartenance aux gens du voyage ». Inversement, si vous arrivez avec un van aménagé, les gestionnaires auront le réflexe de vous renvoyer vers les aires de camping-car ou les campings, : « Ici c’est pas pour vous, c’est pour les gens du voyage ».
On peut aussi se demander pourquoi les Voyageurs font l’objet d’un traitement différencié. Pourquoi tous les usagers de camping-cars et de caravanes n’ont pas accès à ces aires d’accueil ? Pourquoi, à l’inverse, avoir construit massivement ces dernières années des « aires de camping-cars »… d’ailleurs souvent interdites aux Voyageurs ? Accès à l’eau et à l’électricité, sanitaires… n’a t-on pas les mêmes usages, qu’on soit touriste ou citoyen itinérant ?
Que sont ces zones « réservées » ?
Proposer une aire d’accueil est devenu une obligation légale en 1990 pour les communes de plus de 5 000 habitants. C’est l’objet de la loi Besson 1, visant à faire appliquer le droit au logement, pour que les Voyageurs aient un endroit où poser leur caravane. Dix ans après cette loi, les trois quarts des communes concernées n’étaient pas en règle. Pour inciter les communes à le faire, la loi Besson 2 dispose que les communes qui respectent la loi peuvent interdire le stationnement des Voyageurs sur toute la commune, à l’exception de l’aire d’accueil. Bref, vous aurez compris que ces aires d’accueil ne sont généralement pas synonymes d’hospitalité. Sachant qu’encore aujourd’hui, seuls 26 départements sur 95 respectent effectivement leurs obligations.
Votre livre montre que ces aires sont souvent aménagées dans des lieux invivables (voir ci-dessous). Or, vous expliquez que du fait du manque de places, on y trouve souvent les populations les plus précaires, qui y vivent à l’année.
Il faut bien comprendre que l’immense majorité des personnes voyageuses sont attachées à un territoire, habitent un territoire. Parce qu’elles y ont leurs ancêtres enterrés, parce qu’elles y ont leurs enfants scolarisés, parce qu’elles y travaillent : celles qui en ont les moyens achètent un terrain, peuvent continuer à vivre en caravane et partir sur le voyage quand elles le souhaitent, avant de revenir. Les choses sont très compliquées pour y arriver, car 96 % des règlements d’urbanisme interdisent le stationnement d’une caravane plus de 3 mois quand il s’agit de l’habitation principale. Tout incite à abandonner ce mode de vie.
Que font les Voyageurs qui ont le moins de moyens, s’ils ne veulent pas abandonner la caravane ? Généralement, ils n’ont pas d’autre choix que l’aire d’accueil pour poser leur caravane. Il faut savoir qu’il existe environ 20 000 places effectives dans les aires, alors qu’on estime le nombre d’usagers potentiels à 100 000. Si vous trouvez une place à proximité de votre terre d’ancrage, n’aurez-vous pas tendance à vouloir y rester, de peur de perdre « votre » place ? Or, les aires d’accueil sont prévues pour de l’occupation temporaire : une fois dépassé le délai initial de l’autorisation de stationnement, vous rentrez dans une zone grise du droit. Vous vous retrouvez alors soumis à la tolérance (et aux abus) des gestionnaires des aires. Par peur de l’expulsion, vous ne revendiquerez absolument rien quant à l’état de délabrement de l’aire et à l’environnement invivable dans lequel vous êtes pourtant contraint d’habiter. Des politiques existent pour la « sédentarisation ». Mais abandonner sa caravane pour un appartement, pour certains Voyageurs dont les familles sont présentes en France depuis plusieurs siècles avec ce mode de vie, c’est un déchirement terrible.
Pour vous, les règles d’urbanisme ont surtout des fonctions policières : elles excluent spatialement les Voyageurs. Vous faites le parallèle avec les occupants de tiny houses, de yourtes…
Il y a en effet beaucoup de personnes qui font aujourd’hui le choix de ne pas avoir de maison « avec des fondations ». Même si les municipalités font généralement preuve de beaucoup plus de tolérance qu’avec les Voyageurs, leur situation juridique est comparable. Pourquoi ne pas envisager des règles d’urbanisme qui obligent à réserver tel pourcentage de terrains d’habitation à de l’habitat léger comme résidence principale ? Finalement, une des plus grande exclusion des Voyageurs aujourd’hui, c’est vis-à-vis de l’accès à la terre.
Recueilli par Fabien Ginisty
Où sont les « gens du voyage »?
