Par Jean-François Ponsot, économiste atteré
Le dégel des relations diplomatiques entre les Etats-Unis et Cuba n’est pas anodin. Il traduit la volonté des Etats-Unis de conquérir un nouveau marché, mais également de retrouver leur zone d’influence naturelle : l’Amérique latine. Il faut dire qu’avec l’alternance politique dans les années 2000 en Amérique du sud, ils ont perdu de leur suprématie dans la région. L’arrivée au pouvoir de gouvernements de gauche (Lula au Brésil, Chavez au Venezuela, Kirchner en Argentine, Correa en Equateur, Morales en Bolivie, etc.) a favorisé dans ces pays le rejet des prescriptions néolibérales du Consensus de Washington, une intervention accrue de l’Etat, avec notamment l’activation d’ambitieuses politiques de redistribution des richesses, et le souci d’intégrer des objectifs sociaux et environnementaux dans les politiques publiques. Elle a traduit aussi une forte volonté de se détourner de la dépendance au dollar. Le poids des motivations d’ordre politique ou économiques diffèrent selon les pays. Mais, globalement, la recherche de cet objectif a réuni les dirigeants sud-américains autour de la nécessité de diversifier la liste des partenaires commerciaux, de rejeter la zone de libre-échange des Amériques (ZLEA) voulue par George Bush, de prendre ses distances avec les institutions financières internationales (Banque Mondiale, FMI), et enfin de promouvoir le développement de la coopération monétaire régionale pour se passer du dollar.
La Chine, grand gagnant
Le grand gagnant de cette évolution est la Chine, devenue le premier partenaire commercial du Brésil et le premier créancier de la région. Les crédits qu’elle accorde servent en priorité ses intérêts : financements d’industries extractivistes et exploitation intensives des ressources naturelles. Certains gouvernements, ceux du Venezuela et de l’Equateur, vivent à nouveau sous perfusion financière. Mais la Chine sait accorder des facilités de paiement : plus de la moitié des prêts sont assortis de clauses permettant de rembourser l’emprunt en pétrole. Ce qui n’incite évidemment pas à sortir de la spécialisation centrée sur l’exploitation du pétrole…
L’essor des échanges entre la Chine et l’Amérique du sud n’a donc pas contribué à la mise en application d’un nouveau modèle de développement pourtant voulu par les nouveaux dirigeants. Au contraire, ils ont enfermé l’Amérique du sud dans une nouvelle dépendance commerciale et financière, accéléré la désindustrialisation et la reprimarisation de l’économie, engagé une redistribution inéquitable des richesses et accentué l’exploitation intensive des ressources naturelles. L’Amérique du sud a renoué, malgré elle, avec deux de ses vieux démons : la dette, et une dépendance commerciale qui l’enferme dans l’extractivisme. Si l’on ajoute à cela, le net ralentissement de la croissance et la chute brutale du prix du pétrole qui pénalise les exportateurs de brut, nul doute que l’année 2015 sera difficile pour la majorité des pays de ce continent.