Depuis 2018, la région de Kédougou, au Sénégal, fait l’objet d’une véritable ruée vers l’or qui bouleverse plus que l’économie.
Un travail dangereux, des traditions bouleversées… Reportage avec des mineurs du village de Niéméniki.
Regroupés autour d’une marmite fumante, Moussa Camara et son équipe prennent le petit déjeuner. Les hommes sont orpailleurs. Dans une petite heure, ils rejoindront leur mine artisanale, à deux kilomètres de là. « L’or est arrivé dans les collines de Niéméniki début 2018 », relate Moussa.
Niéméniki, son village, se situe dans la région de Kédougou, à l’est du Sénégal. Ici, tout le monde décrit l’or comme un être vivant. Le précieux métal se déplacerait sous la terre. Il serait l’affaire du Diable, de Dieu et des génies, qui le feraient apparaître à certains hommes à certains moments, selon leur bon vouloir. « Dès que j’ai appris la nouvelle, j’ai investi toutes mes économies dans du matériel et rassemblé plusieurs personnes », ajoute ce chef d’équipe. Diable ou pas, l’or entraîne toute la région dans un cycle infernal.
Carim Camara dénonce : “C’est un cercle vicieux. L’or apporte de petits bénéfices qui sont entièrement réinvestis dans l’orpaillage qui génère encore des petits bénéfices, etc. Maintenant, l’économie de la région est complètement dépendante de cette activité.”
Natif d’un village proche de Kédougou, ce journaliste de 48 ans est rédacteur en chef de Kédougou FM, la radio associative locale. « Un moment, les sites d’orpaillage ont été fermés par les autorités à cause des éboulements. Cela a posé énormément de problèmes car toutes les familles dépendent de l’orpaillage pour vivre. Il y avait beaucoup de vols, de braquages. »
L’arrivée soudaine et massive de travailleurs étrangers a aussi des conséquences désastreuses sur les prix des loyers et le coût de la vie en général. « Avant on logeait gratuitement des gens pour entretenir la chambre. Au maximum, on réclamait 5 000 FCFA par mois. Maintenant on ne trouve rien en dessous de 30 000 FCFA. C’est devenu aussi cher qu’à Dakar. Avant, les gens partageaient du maïs ou des mangues entre voisins. Maintenant, tout est payant. Tout coûte cher. »
Pour se rendre sur le site d’orpaillage, les travailleurs suivent un petit sentier escarpé. « Attention à ne pas glisser sur les cailloux », préviennent-ils. L’ascension de la colline est harassante. L’air est brûlant. Poussée par le vent, une poussière de sable rouge colle à la peau, pénètre les narines, pique les yeux et agace les dents. Au sommet, quelques gros engins de perforation. En contre-bas, des centaines de puits, dits dammas, jalonnent sur deux sillons le flan de la colline.
Groupes électrogènes & marteaux-piqueurs
« Il y a environ 300 dammas sur la première ligne et une centaine sur l’autre », estiment les orpailleurs. Chaque puits est couvert d’un abri précaire de branches et de bâches en plastique, conçu par les mineurs pour se protéger du soleil. Des hommes vont et viennent, seaux et pioches à la main. Les bruits de la nature ont disparu, étouffés par les groupes électrogènes et les marteaux-piqueurs.
Arrivés au puits, les équipiers se répartissent les tâches : deux partent au fond pour creuser et deux restent en haut pour tirer les seaux de pierres. Un cinquième s’occupe d’emporter les pierres plus loin. Tous travaillent en pantalon et tee-shirt. Aucun ne possède d’équipement de protection. « Nous avons trois autres équipiers en train de commencer à creuser un autre damma et il y a aussi un gardien qui vient ici la nuit pour surveiller. »
Chaque équipe présente sur le site engage son propre gardien. L’un d’eux, Mamadou Diallo, a été élu chef des gardiens. « J’interviens en cas de litige, explique-t-il. Par exemple, si quelqu’un est accusé d’avoir creusé dans le damma d’un autre. »
Des miettes d’or
Si de l’or est trouvé dans un puits, il est partagé entre tous les équipiers. « Pour le moment nous n’avons trouvé que des miettes, confient-ils. Mais on espère trouver un jour, au fond d’un damma, une grosse quantité d’or. Dans un autre endroit, nous avons connu un homme qui a trouvé beaucoup d’or dans son damma. Il a gagné 115 millions de FCFA. Il a construit une grande maison et envoyé ses quatre enfants en Europe. » Les mineurs chôment deux jours par semaine. Le vendredi, pour la prière et le lundi, un jour mystique consacré aux sacrifices pour attirer l’or.
L’exploitation attire aussi quelques personnes qui ne creusent pas mais viennent vendre leurs services aux mineurs. Des femmes gravissent la colline pour vendre de l’eau et des repas.
D’autres coupent du bois qui sera utilisé pour construire les abris ou étayer les puits. Il y a aussi un forgeron. Il s’appelle Kaleba Kante et travaille depuis plusieurs années sur les sites d’orpaillage : « Je change régulièrement de site, raconte-t-il. Je forge des outils artisanaux ainsi que les embouts des marteaux-piqueurs. »
L’orpaillage est une des activités traditionnelles de la région, pratiquée depuis des siècles. Mais ces immenses sites sont très récents. « Autrefois, les femmes allaient au bord du fleuve avec les calebasses pour essayer de récupérer un peu d’or. Il n’y avait pas de moyens modernes », se souvient Carim Camara.
En moins de deux décennies, la pratique de l’orpaillage s’est complètement transformée : « Au début des années 2000, des sociétés minières ont commencé à faire de l’exploration. L’une d’elles, la SGO, a débuté l’exploitation en 2008, à Sabodala. Dans le même temps, des orpailleurs maliens sont arrivés avec des détecteurs, des piqueurs, des explosifs et ont commencé à ramasser de l’or. Les gens ont compris qu’il y avait moyen de beaucoup gagner et ont abandonné leurs activités pour se lancer dans l’orpaillage.»
Une seconde exploitation a vu le jour en janvier 2018 à Mako, ville située à environ cinq kilomètres de Niéméniki. Une centaine de permis de prospection sont actuellement accordés dans toute la région.
Sur les sites d’orpaillage, dits artisanaux, comme à Niéméniki, les chefs d’équipe possèdent une carte d’orpailleur, délivrée par le ministère des mines et qui les autorise à creuser jusqu’à 15 mètres. En réalité, les puits dépassent les 25 mètres de profondeur, ce qui pose de sérieux problèmes de sécurité : il ne se passe pas un mois sans qu’on apprenne dans la presse locale que des orpailleurs sont morts dans un éboulement. « Jusqu’à présent, il n’y a jamais eu de blessures graves ici », garantit Faly Sadiakhou. Cet homme de 41 ans est un tomboulouma, sorte de responsable de la sécurité.
Casquette sur la tête et maillot de l’OM sur le dos, il déambule de puits en puits pour contrôler la solidité des étayages. « Si ça commence à tomber, je dis d’arrêter les travaux et de consolider le boisage. S’il y a des personnes blessées, c’est à moi de les emmener au dispensaire. » Des tombouloumas sont présents sur tous les sites d’orpaillage. Ils sont généralement désignés par le chef du village et touchent un pourcentage sur l’or récolté.
“Ça ne sert à rien d’aller à l’école”
Au damma de Moussa, aujourd’hui, c’est Mamadou, son fils de 14 ans, qui tire les seaux. « Je viens travailler trois jours par semaine, de 8 heures à 15 heures, raconte le garçon. Le reste du temps, je me repose ou je joue au foot ». Comme lui, de nombreux enfants, parfois plus jeunes, sont présents dans les mines. Malgré les plaintes des professeurs et des ONG, le phénomène s’amplifie chaque année. « Pour les gens d’ici, l’école, c’est d’abord un moyen de gagner plus d’argent à l’avenir, explique Carim. Ils se disent donc que s’ils peuvent gagner suffisamment d’argent avec l’orpaillage, ça ne sert à rien d’aller à l’école. » Moussa se justifie : « J’ai quatre garçons et quatre filles. Les deux plus grands travaillent à la mine car la scolarité coûte cher. Mais maintenant je voudrais qu’ils apprennent un métier car la mine ne rapporte pas de revenus réguliers suffisants. »
Mamadou vide les seaux de pierres dans des grands sacs. Un coéquipier part les jeter quelques mètres plus bas. Des tonnes de pierres s’amoncellent ainsi, tout le long de la colline. Sur le tas, Niakhalé Diawara, 20 ans, creuse à l’aide d’une daba, sorte d’herminette, en plein cagnard. « Je récupère des pierres mises de côté. Dans certaines, on trouve des toutes petites pépites d’or. »
D’autres femmes, souvent plus jeunes, attendent à côté pour prendre le relais. Quant aux femmes plus âgées, elles s’occupent de laver et de sélectionner les pierres potentiellement intéressantes. En fin de journée, elles rapportent les pierres chez elles pour les piler dans un mortier en acier. « On pile les pierres, puis on tamise et la poudre d’or tombe dans la bassine, explique Niakhalé. Ensuite on lave dans une calebasse, le sable part et l’or reste dans le fond. Puis on ajoute du mercure pour que la poussière d’or se transforme en boules. » C’est de cette poussière que se nourrit l’espoir de Moussa et des autres travailleurs.
Pour l’heure, l’or issu des pierres pilées est leur seul gain. « Ça nous permet de manger et d’investir dans un nouveau damma. » Pas assez d’or pour atteindre l’éden, mais déjà trop pour quitter l’enfer.
Benoit Vandestick
Au sommaire du numéro 157
1 / EDITO La complainte du cueilleur de champignons /
Pour passer un Noël sans Amazon
3 / Les pros du vrac luttent contre leurs déchets cachés
4 / Entretien : avec la tontinette, la propriété c’est du vol !
5 / Bure des visages dans le dossier
6 / Reportage dans le Vaucluse : construire pour se reconstruire
12 /13 / Le jeu de la sorcière
14 / 15 / Actus drones et compagnie : disruption sécuritaire
16 /17 / La lorgnette : Main dans la main avec des réfugiés géorgiens /
Au sénégal, les orpailleurs mordent la poussière
18 / 19 / L’atelier au jardin / Couture & Compagnie / Cuisiner sans gluten / Le coin naturopathie
20 / Fiches pratiques : un sapin de noël sans couper d’arbre / Des couronnes de fêtes
Dossier 5 pages : Tous sorcières !
Les bûchers de sorcières, à la Renaissance, ont accompagné l’instauration du capitalisme et marqué la condition des femmes. Aujourd’hui, ces figures rebelles sont convoquées pour changer notre rapport au monde. Magnétiseuse, herboriste, chamane, druide… Témoignages de femmes et d’hommes qui s’affranchissent des normes pour entrer en relation avec les forces de la nature. Entretien avec la philosophe Isabelle Stengers, qui propose de s’appuyer sur l’expérience des sorcières néo-païennes et activistes pour se désenvoûter de « la sorcellerie capitaliste ».
L’arrivée soudaine et massive de travailleurs étrangers a aussi des conséquences désastreuses sur les prix des loyers et le coût de la vie en général. « Avant on logeait gratuitement des gens pour entretenir la chambre. Au maximum, on réclamait 5 000 FCFA par mois. Maintenant on ne trouve rien en dessous de 30 000 FCFA. C’est devenu aussi cher qu’à Dakar. Avant, les gens partageaient du maïs ou des mangues entre voisins. Maintenant, tout est payant. Tout coûte cher. »
Pour se rendre sur le site d’orpaillage, les travailleurs suivent un petit sentier escarpé. « Attention à ne pas glisser sur les cailloux », préviennent-ils. L’ascension de la colline est harassante. L’air est brûlant. Poussée par le vent, une poussière de sable rouge colle à la peau, pénètre les narines, pique les yeux et agace les dents. Au sommet, quelques gros engins de perforation. En contre-bas, des centaines de puits, dits dammas, jalonnent sur deux sillons le flan de la colline.
Groupes électrogènes & marteaux-piqueurs
« Il y a environ 300 dammas sur la première ligne et une centaine sur l’autre », estiment les orpailleurs. Chaque puits est couvert d’un abri précaire de branches et de bâches en plastique, conçu par les mineurs pour se protéger du soleil. Des hommes vont et viennent, seaux et pioches à la main. Les bruits de la nature ont disparu, étouffés par les groupes électrogènes et les marteaux-piqueurs.
Arrivés au puits, les équipiers se répartissent les tâches : deux partent au fond pour creuser et deux restent en haut pour tirer les seaux de pierres. Un cinquième s’occupe d’emporter les pierres plus loin. Tous travaillent en pantalon et tee-shirt. Aucun ne possède d’équipement de protection.