Dans un quartier de Villeurbanne, des parents se sont réunis en association pour de l’aide aux devoirs. Onze ans plus tard, une centaine de familles profite du soutien scolaire, mais aussi des ateliers cuisine, du foot féminin, de la gym… le tout étant géré quasi-exclusivement par les parents eux-mêmes.
Le quartier des Brosses est immobile, presque silencieux ce samedi matin à Villeurbanne. Le bruit du périphérique de l’agglomération lyonnaise fait office de fond sonore. Grands parkings pleins, tours de huit étages, petite place aux commerces fermés. Cet été, il y a eu une fusillade avec un blessé grave, juste là. Un « règlement de comptes ». De l’autre côté de la dalle déserte, une porte vitrée entrouverte et de la lumière. Des bruits de chaises et des voix d’enfants. « Fais pas ça ! Ils vont nous manger ! » Samy et Yusuf sont attablés, les yeux rivés sur l’échiquier. Semih et Asma leur font face, imaginent le coup d’après. Les quatre enfants se dandinent sur leurs chaises d’adultes mal ajustées.
Sourcils froncés, on devine qu’ils ne lâcheront rien à leurs adversaires. « Ils sont mieux là que devant la télé », commente Shéhérazade, assise en compagnie d’autres adultes à la table d’à côté, elle aussi couverte d’échiquiers. Dans la salle, une quinzaine de personnes jouent sous le regard attentif de quelques bambins. L’ambiance ressemble à celle d’une bibliothèque municipale : à la fois studieuse et décontractée. À la table du fond, Nicolas, la cinquantaine, fait face à trois enfants qui découvrent le jeu. « C’est moi qui anime l’atelier, mais je vais bientôt devoir travailler les samedis (il est chauffeur routier, Ndlr). C’est sûrement Shéhérazade qui prendra le relais. » Ainsi fonctionne l’association Les 3D* du quartier des Brosses de Villeurbanne. Les parents proposent, les parents s’organisent, les parents et les enfants font. Des échecs donc, et des ateliers cuisine, du soutien scolaire, des cercles de « soutien à la parentalité », des sorties dans des musées, des sorties à la ferme, au ski et au bowling, de la gym, de la couture, du foot, des thés-philo…
« Les parents proposent à leur tour »
« On a commencé à une poignée de parents d’élèves, soucieux de la réussite de nos enfants. On s’est dit qu’on pouvait faire quelque chose en autonomie pour montrer que l’échec scolaire n’est pas une fatalité, même dans un quartier prioritaire ». Khadija Perut, présidente des 3D, était déjà une locomotive de l’association à sa création, en 2011. Depuis, ses trois enfants ont réussi leurs études, « chacun a pris sa voix et s’épanouit ». Quant à l’association, elle compte aujourd’hui une centaine de familles adhérentes, et les parents ont désormais l’appui d’un jeune service civique pour les temps de soutien scolaire, première des activités lancées, et toujours à l’agenda. « Ça a marché avec le bouche-à-oreille. Les parents viennent pour l’aide au devoir, découvrent les autres activités, proposent à leur tour, s’investissent… ».
« Il y a aussi la maison de quartier, mais c’est la mairie, ils sont fermés le week-end. Et pour les adultes, il y a le centre social, mais c’est pas pareil. On est complémentaires, nous, on est d’ici, on connaît les habitants, il y a une relation de confiance. » M’Barka, vice-présidente, interrompt sa partie pour m’expliquer l’importance des moments parents / enfants, dans la plupart des activités : « on sort de la relation “range tes affaires, fais tes devoirs”. Il y a d’autres parents, d’autres enfants, ça fait vivre d’autres expériences avec eux. »
« Toujours dans la débrouille »
Les adultes – surtout des femmes – prennent aussi du temps pour elles : « On avait un atelier danse. Sauf que pendant le Covid, on pouvait pas réserver des salles. Alors on a eu l’idée de faire du foot entre nous. Depuis, on continue. Ça fait jaser dans le quartier !, sourit M’Barka. Et pendant les vacances scolaires, on joue avec les enfants. »
Khadija tient à me montrer le bureau que l’association loue : une pièce de neuf petits mètres carrés dans lesquels s’entasse le matériel pour les différentes activités. « C’était un peu compliqué avec l’ancienne municipalité (de Villeurbanne, Ndlr). Aujourd’hui, ça va mieux, même si on est toujours dans la débrouille. »
Ce matin, l’activité a lieu dans une salle mise à disposition par le centre médico-social, fermé le week-end. Les 3D se sont même vus confier la gestion de cette « salle commune » ouverte à d’autres associations. Service civique, gestion de salle… l’association obtient peu à peu, après 13 ans de terrain, la reconnaissance et le soutien des pouvoirs publics et des financeurs, tout en reposant encore très largement sur le bénévolat. « On a dû arrêter les thés-philo, des moments pourtant magnifiques, par manque d’organisation », déplore Khadija. « Pour faire rentrer de l’argent, on pense organiser des prestations avec l’atelier cuisine. Proposer des repas aux habitants, aux élus… ». Dehors, un « bibliobus » s’est garé. Le vent s’est levé. On n’entend plus le périph.
Fabien Ginisty
1- Diversité, dialogue, devenir.