« L’antisionisme est une forme réinventée de l’antisémitisme » (1). Même le président Macron confond opinion politique et jugement raciste. Dans ce confusionnisme ambiant, on a voulu donner la parole à l’Union juive française pour la paix, un mouvement juif et antisioniste, par la voix d’un de ses porte-parole, Pierre Stambul.
Comment expliquez-vous l’émergence, et aujourd’hui l’omniprésence, de la confusion entre antisionisme et antisémitisme dans le débat public ?
C’est une rhétorique construite de toutes pièces par l’État d’Israël et ses soutiens, qui leur permet de discréditer toute opposition à leur politique. Cette confusion n’est pas seulement un mensonge, c’est aussi une obscénité au regard de l’Histoire. Il faut en effet se souvenir qu’avant les années 40 et le génocide, le sionisme était une idéologie très minoritaire chez les Juifs. Encore aujourd’hui, beaucoup de Juifs sont antisionistes. Faire la confusion entre antisionisme et antisémitisme, cela revient à penser que les Juifs qui s’opposent à la politique d’Israël sont antisémites. C’est absurde, obscène et dangereux.
Le Rassemblement national apporte un soutien inconditionnel à la politique actuelle de Netanyahou, comme la plupart des partis d’extrême droite européenne. Comment le comprendre, alors même que ces partis sont les descendants de mouvements ouvertement antisémites dans les années 30 ?
Si vous faites la confusion entre antisémitisme et antisionisme, c’est en effet difficile à comprendre ! L’Histoire montre par contre que l’antisémitisme a toujours vu d’un bon œil le sionisme. En effet, quelle idée forte est à l’origine du sionisme, théorisé par Theodor Herzl, à la fin du XIXe siècle ? (2) Que la haine des Juifs est inéluctable, qu’on ne s’en débarrassera jamais. Qu’il faut donc un « abri permanent pour le peuple juif ». À la même époque, des auteurs antisémites comme Edouard Drumont connaissaient un grand succès. Ce dernier proposait, pour se débarrasser des Juifs, de « les renvoyer tous en Palestine ». Les antisémites, nombreux avant guerre, ont ainsi vu dans le sionisme un moyen de se débarrasser des Juifs en les transformant en colons européens au Proche-Orient. Theodor Herzl ne s’y est pas trompé : il écrivait dès 1896 que « les antisémites seront nos amis les plus sûrs et les pays antisémites nos alliés ». Et le sionisme a effectivement bénéficié de l’appui d’élites antisémites en Europe pour faciliter l’établissement des Juifs en Palestine dès les années 1920. Donc voir aujourd’hui l’extrême droite mondiale soutenir Netanyahou n’a rien d’anormal. La confusion actuelle leur permet en plus de masquer leur passé, et parfois leur présent, antisémite.
L’Union juive française pour la paix s’affiche antisioniste. Qu’est-ce que cela signifie aujourd’hui, et comment on résout le « conflit israélo-palestinien » ?
Pour nous, cela commence par regarder l’Histoire en face : la constitution de l’État d’Israël s’est faite dans la guerre, et a donné lieu en 1948 à un nettoyage ethnique de plus de 700 000 Palestiniens, chassés de leur territoire. Depuis, l’État d’Israël poursuit une politique de colonisation, avec toute la violence que cela induit pour les Palestiniens, tués, chassés, ou victimes d’apartheid. Il nous faut donc plus que jamais soutenir le peuple palestinien.
Ensuite, « on ne réparera pas un nettoyage ethnique par un autre », bien entendu. Aujourd’hui vivent sur ce territoire environ 7 millions d’Israéliens et 7 millions de Palestiniens. La solution pour une paix durable réside dans la boussole du droit international. Cela passe par le respect de grands principes, tels que la liberté, qui implique notamment la fin de la politique de colonisation. Aussi, le respect de l’égalité des droits, quelle que soit l’origine ou la religion, contrairement à l’apartheid que subissent aujourd’hui les Palestiniens israéliens et dans les territoires occupés. Pour nous, à l’UJFP, cela implique la fin du caractère juif de l’État d’Israël pour que tous les habitants, quelle que soit leur religion, soit égaux. Et aussi la justice, qui implique la mise en œuvre du droit au retour pour les réfugiés palestiniens, ainsi que le jugement des criminels de guerre.
Propos recueillis par Fabien Ginisty
1- Déclaration en marge des commémorations de la rafle du Vél d’Hiv en 2017.
2- Dans son livre L’État des Juifs, publié en 1896.