L’art de modeler et cuire la terre remonte à la préhistoire. En France, les savoir-faire des céramistes sont riches et de haut niveau mais, contrairement à d’autres pays, nous avons perdu l’habitude d’acheter notre vaisselle chez le potier.
Il y a quelques années, Nathalie Margo, potière, nous demandait de parler des « métiers en voie de disparition. Car, être équitable, c’est aussi ça. C’est mieux connaître les personnes qui vivent d’un artisanat ancien. » La céramique, qui regroupe les techniques de terre cuite utilisées pour fabriquer des objets ménagers (vaisselle), architecturaux (tuiles, carreaux), décoratifs et artistiques, est l’une des traces matérielles laissées par les anciennes civilisations. Après les statuettes cuites au soleil, la fabrication d’objets utilitaires, cuits au feu, a commencé il y a environ 10 000 ans. Le tour de potier existe depuis plus de 5 000 ans – actionné par un bâton, à la main, au pied, puis par l’électricité.
Venus surtout d’Asie et d’Orient, les savoir-faire des céramistes ont voyagé à travers le monde. En France, ils ont été perfectionnés au sein des manufactures de faïence, puis de porcelaine après la découverte d’un gisement de kaolin près de Limoges. Ils ont également été développés dans les ateliers artisanaux, spécialisés en fonction de la terre locale. « On a des terroirs, comme pour le fromage, estime Nathalie Margo. Il y a cent ans, la céramique pouvait faire vivre tout un village. » Aujourd’hui, les « villages de potiers » accueillent une ou plusieurs dizaines de céramistes – ils sont 60 à Vallauris, sur la Côte-d’Azur, où Pablo Picasso a fait de la terre cuite l’un de ses modes d’expression. Choix de l’argile, modelage, séchage, décor, émail, cuisson… la maîtrise des nombreux paramètres techniques de ce métier complexe, qui permet de transformer un simple pain de terre en objet fini, sont transmis dans des centres de formation, mais aussi sur le tas. Certaines manufactures ont perduré : on fabrique toujours de la porcelaine à Sèvres et à Limoges. « La céramique française est d’un très haut niveau » souligne Brigitte Pénicaud, qui crée de la vaisselle joyeusement colorée, dont les formes semblent en mouvement, en « essayant de faire de chaque pièce une œuvre d’art ». L’Institut national des métiers d’art estime qu’environ 2 000 personnes, en France, vivent de la céramique. Quand on rapproche ce chiffre des 67 millions d’habitants du pays qui mangent chaque jour dans une assiette, un bol ou un plat, on se dit que notre vaisselle a d’autres origines que les ateliers artisanaux ! Pour Nathalie Margo, qui s’est reconvertie dans la production d’herbes aromatiques, « les grandes surfaces, en important de la faïence de mauvaise qualité, ont tué notre métier. Les céramistes se sont orientés vers l’art, et vendent leurs pièces plus cher. Mon rêve serait que beaucoup de personnes puissent acheter leurs objets utilitaires chez un potier sans que ça leur coûte un bras ! »
OBJET DU QUOTIDIEN OU DE LUXE ?
Art ou artisanat ? Objet du quotidien, ou luxe réservé à ceux qui en ont les moyens ? Pour Brigitte Pénicaux, la céramique est un tout, comme au Japon ou en Corée, où « c’est un art à part entière. Les gens vivent au quotidien avec les objets et y mettent le prix. Pour eux, c’est vital et c’est un bonheur ». Aujourd’hui exposée dans les musées, l’artiste a démarré à 17 ans, dans l’atelier d’un potier. « Je ne savais rien faire et ma seule ambition, c’était d’apprendre à tourner pour travailler dans une usine, ce que j’ai fait ensuite. Quand vous faites 100 pichets d’1 litre en 2 heures, les mains apprennent à manipuler la terre ! » Elle s’est ensuite intéressée à la tradition du village de potiers du Fuilet, dans le Maine-et-Loire : « Faisselle, pot à lait, saloir à cochon… Toutes les formes étaient d’une beauté, c’était tellement fonctionnel ! J’ai travaillé dix ans pour arriver à refaire ça. »
La céramiste autodidacte a élaboré ses propres techniques et construit sa démarche artistique, sans jamais oublier la fonction pratique des objets. « Je veux donner des ailes à l’utilitaire », dit-elle. Ses « beaux bols » sont vendus entre 300 et 600 euros. Sans faire fortune, Brigitte Pénicaud estime ainsi « respecter le travail exigeant que j’ai fourni. Là où je suis arrivée après 50 ans de métier, ce n’est pas anodin ». La vaisselle plus simple, produite à la main mais en série par d’autres potiers, est beaucoup moins onéreuse, mais cela ne suffit pas à convaincre le chaland : « Beaucoup de gens ne viennent sur les marchés de potiers que pour se promener et regarder, ils préfèrent acheter dans la grande distribution », témoigne Nathalie Margo, qui plaide pour que l’on recrée le lien avec ceux qui fabriquent nos objets, comme on le fait avec les circuits courts en agriculture. « Quand je faisais les marchés, une personne qui m’avait acheté des bols est revenue deux ans plus tard pour me dire : ” Je m’en sers tous les jours, et je pense à la conversation qu’on a eue.”»
Lisa Giachino
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