Dans le petit bourg de Rouairoux, situé dans la Montagne noire, une bande de voisins a construit un four à pain associatif. L’idée ? Préparer de belles baguettes locales, bouger les lignes dans le village et manger de trop bonnes pizzas au feu de bois !
Vous la sentez, la bonne odeur du pain chaud ? La croûte craquelée par la flamme du feu de bois. Et les sourires qui mettent la main à la pâte. Au beau milieu du petit village du Tarn, le four à pain collectif est devenu la nouvelle agora, où l’on rigole, l’on se régale et l’on discute. « On voulait se retrouver autour d’un projet commun. Du moment que ça parlait de bouffe, ça nous a plu. Et puis, le pain, ça fédère », explique Sophie, une habitante de Rouairoux emmitouflée dans sa veste noire en laine. « Le four, c’est un prétexte pour se rassembler. Ce sont les pizzas, mais ça pourrait être autre chose. Enfin, j’adore les pizzas quand même ! », s’amuse Christine, pull vert et écharpe rouge.
Le projet de « Four pas banal » a germé dans la tête d’une poignée de nouveaux habitants. Dans ce bourg très étendu, les assos roupillent et les commerces avec. Pas si facile de retisser du lien. « Avant, il y avait un café, une école, mais il n’y en a plus depuis longtemps. On n’a même pas une boulangerie pour se dire bonjour », constate Sophie. En janvier 2019, l’asso a donc décidé d’acheter une vieille grange à l’abandon en plein milieu de Rouairoux. Et de la retaper petit à petit.
Un chantier participatif a été lancé et s’est tenu chaque samedi pour donner des coups de main. Les briques réfractaires ont été données par des habitants, des bénévoles ont filé les pierres pour construire le soubassement.
Pizzaïolos et bricolos
Un bûcheron a mis du bois à disposition pour la charpente. Un tailleur de pierre a donné des astuces pour faire la porte. Et encore beaucoup d’autres habitants qui n’avaient jamais mis les mains dans le cambouis auparavant. « Je n’avais jamais monté un mur de ma vie. Grâce à la construction du four, j’ai même pu refaire des travaux chez moi toute seule », sourit Christine.
Il reste encore quelques coups de mains à donner pour aménager un vrai fournil et un coin cuisine. Mais ça fait un bon moment que les flammes ont déjà pu lécher les premières pizzas locales, qui portent les noms des hameaux du coin. Il y a la « Rizo », avec du chorizo. La Quatre fromages s’est transformée en « Rodier » du nom de la ferme qui les fournit. Des cuissons sont organisées tous les mois. En été, au beau milieu des gamins du bourg qui profitent des fournées pour jouer ensemble, les grands peuvent aussi boire de la bière du coin. Et du jus de pomme de Rouairoux, une variété très locale, que les voisins pressent eux-mêmes. Que des bons produits et des pizzas artisanales à 5 euros, juste « pour se rembourser les frais ».
Un « chez nous » culturel et militant
À l’époque féodale, le seigneur imposait à ses habitants d’utiliser son « four banal » pour cuire leur pain en échange d’une taxe. Pour contrer cette idée, la bande de copains « naturellement militants » a décidé de le baptiser « Four pas banal ». Le fonctionnement de l’asso ne l’est pas plus : pas de président, de secrétaire, ni de trésorier. Les décisions sont prises au consensus. Il y a seulement quelques pôles pour gérer la communication ou les travaux. « C’est hyper motivant d’être dans une équipe et de faire les choses », poursuit Sophie. Grâce aux soirées organisées autour du four, Christine a même « rencontré des gens qu’ [elle ne]connaissait pas ». Une idée qui a fait grincer les dents de vieux briscards du village, qui voyaient déjà une horde de jeunes néos qui allaient faire du bruit toute la nuit dans le petit bourg pépère. « On voulait en faire un “chez nous” ouvert à tous. C’est un petit retour aux sources, avec du pain qui ne ressemble pas à celui des chaînes industrielles et qui utilise des farines locales. Petit à petit, en échangeant trois mots avec les habitants, ça permet de déclencher des conversations et d’ouvrir les esprits. C’est en montrant qu’on démontre ! » Des tas d’autres idées rigolotes germent autour du projet fou. On prête le four à Édith, une boulangère en installation qui lance des fournées de pain toutes les semaines. « Ça lui donne un coup de main et en plus, elle va pouvoir nous donner des conseils ! », s’enthousiasment Christine et Sophie.
Les joyeux voisins organisent des concerts, des conférences, des bals trad, une nuit des étoiles… « Pour un petit village comme ça, on veut aussi proposer une offre culturelle dans le coin, explique Christine. Un jour, ce sera “the place to be” ici. Les jeunes viendront même de Toulouse pour faire la fête ! »
Clément Villaume