Dans les médias, les vendanges sont de l’ordre des marronniers, ces sujets qui reviennent inlassablement tous les ans à la même époque. Pourtant, on trouve encore des initiatives qui sortent de l’ordinaire, comme ici à Prébois, en Isère.
Sur la place de Prébois en Isère, ce samedi 7 octobre, quelques convives d’une grande tablée sirotent leur café pendant qu’une petite prune maison circule de tasse en tasse. Les bouteilles de vin sans étiquette, désormais vides, trônent encore fièrement. Les vendanges et le repas réconfortant qui va avec touchent à leur fin, quand une voiture se gare en contrebas. Samuel Delus, vigneron professionnel installé en bio depuis le début des années 2000 en sort, fatigué mais en forme, sous les applaudissements des petites mains fortes venues lui rendre service ce matin. « C’est émouvant, cette solidarité qui s’est mise en place », sourit-il, soulagé que ses vignes aient pu être récoltées à temps, malgré une hospitalisation d’urgence.
Ce qui a permis cette entraide n’est pas seulement l’ambiance villageoise dans cette contrée du sud Isère entourée de montagnes. L’association Vignes et vignerons du Trièves (VVT) y est pour quelque chose, dans la mise en relation de passionnés, professionnels ou non, ayant à cœur d’entretenir les quelques ceps ayant subsisté aux aléas qui les ont décimés au fil des siècles.
Un conservatoire…
« Si 300 hectares de vignes étaient présents sur le territoire autour de 1850, en 2007, il n’en restait que 8… », précise l’association VVT, dans son historique. C’est cette menace de disparition du vignoble, associée à l’envie de partager et de mettre en relation des personnes d’horizons divers, et bien entendu le plaisir du bon vin, qui a motivé Gilles Barbe à rassembler des forces vives. « Gilles, c’est un altruiste et un fédérateur », témoigne Samuel, aujourd’hui président de l’association. Samuel a suivi Gilles dès les débuts du projet, alors qu’il entamait sa reconversion professionnelle en tant que vigneron. Si le but de l’association était de redonner sa consistance au vignoble en replantant des cépages anciens, il a fallu un peu de temps avant d’obtenir reconnaissance et agréments. L’association s’est formée initialement pour entretenir des parcelles laissées à l’abandon – leurs propriétaires n’étant plus en mesure de s’en occuper – via l’établissement de conventions entre propriétaires et personnes motivées : « Les vignes familiales disparaissaient, les enfants étaient partis. On a mis, en face, des gens qui ont plus la forme », témoignent Maxime Poulat et Jérémy Dubost, toujours actifs parmi la centaine d’adhérents que compte aujourd’hui l’association. Avant de replanter, « l’idée était déjà de sauver l’existant », expliquent-ils. Et de redonner quelques bonnes bouteilles à ce plateau montagneux.
Des instruments pour y jouer
La première cuvée est sortie en 2009. Aujourd’hui, l’association compte 31 hectares de vignes, et elle dispose d’une cave toute équipée : cuves, pressoir, érafleur… qui permet à une quinzaine de vignerons, amateurs et professionnels, de vinifier sans s’endetter. Pour s’équiper et parfois salarier quelqu’un, VVT fonctionne sur subventions. « Le pressoir qu’on a cette année il a 20 ans, celui qu’on avait avant il en avait 40. On s’est modernisé ! », s’amuse Samuel, néanmoins satisfait de cette acquisition. Sans tout cela – la cave, ses équipements, le monde autour connaissant le métier, les échanges – Jean-Baptiste n’aurait rien fait. Il cultive, avec un ami, une parcelle de 1500m2 contre quelques bouteilles. « Cela m’a bien charmé, c’était à l’opposé de ce que j’avais vu de moche », raconte-t-il. Originaire du Bordelais, il avait connu les vendanges « industrielles ». Avec Loïc, ils sont a priori les seuls à ne pas presser tout leur raisin dès la récolte, pour une vinification « semi-carbonique ».
« C’est un esprit et une charte, d’avoir un engagement pour des pratiques agrobiologiques et une vinification naturelle », précise Jérôme, en me montrant le document encadré à l’entrée de la cave.
Des profils de tous horizons
« Parfois tu vois le jus couler, cette beauté », se réjouit Guillaume en désignant les larges tuyaux qui sortent du pressoir pneumatique où il vient de verser des caisses de raisin noir avec Jérôme. Guillaume est « comme un saumon qui remonte la rivière, [il fait] le trajet inverse ». De sommelier, il s’attelle maintenant à la production de vin et pour cela, la cave associative est un tremplin indispensable. « Il y a eu plein d’installations là-dessus », témoignent aussi Jérôme et Manon, qui en sont à leurs troisièmes vendanges. Parmi les membres de l’association, Christine dénote quelque peu, avec son association, adhérente de VVT. Elle, c’est VVM, Vignes et vergers du Mas : un jardin communal, avec fruitiers et raisins, pour produire du jus et grâce à la cave de Prébois, quelques bouteilles uniquement destinées aux fêtes du village.
Car si VVT cherche la reconnaissance du patrimoine vinicole, avec pourquoi pas une IGP à décrocher, la convivialité et l’entraide prévalent. Il n’y a peut-être que deux réunions du conseil d’administration par an, mais « on se croise souvent à la cave, aux vendanges, et à la Saint Vincent ! »
Lucie Aubin