En Guyane, la préfecture et les élus soutiennent sans réserve le projet de la « Montagne d’or », qui deviendrait la plus grande mine de l’histoire de France. En dépit des risques pour la population et pour la précieuse forêt tropicale humide, la fièvre de l’or se poursuit depuis le début du XIXe siècle.
Article de Gérôme Guitteau paru en mai 2017 dans le journal L’âge de faire.
La pluie redouble dans l’est guyanais. La route latéritique, rouge, ressemble à des veines ouvertes, sûrement celles décrites par Eduardo Galeano, journaliste et écrivain uruguayen, il y a quarante-cinq ans. Nous sommes sur la piste de Paul Isnard, le premier européen à avoir découvert ce massif aurifère vers 1875. Cette route de légende a été construite en 1982, mais son tracé date de la fièvre de l’or, début XXe.
À une patte d’oie, nous bifurquons sur la droite, direction les cascades Voltaire, les plus belles de Guyane, au cœur d’une forêt qui prend son temps pour se régénérer. Nordgold et Colombus gold, sociétés russe et canadienne, ont décidé d’aller tout droit, direction la future plus grande mine de l’histoire de France, nommée de manière peu équivoque : « La Montagne d’or».
Une montagne de bénéfices, des milliards d’euros promis par les études préliminaires, pour une exploitation de 13 ans. Les recettes sont estimées entre 3,8 milliards et 12 milliards d’euros, le cours de l’or étant sujet à une évolution importante sur les marchés. Peu importent la durée très courte de l’entreprise et le fait que la Guyane ne récupère que 2 % de l’ensemble, les pouvoirs publics ne rêvent que de cette mine tant le chômage, la frêle économie guyanaise et le taux d’accroissement démographique (3,5 %) font craindre à court terme un mur de violences et de désespoir.
Les risques écologiques ne font pas non plus le poids face aux 800 emplois directs et 2 500 emplois indirects annoncés. « Le projet doit se faire », martèle Martin Jaegger, préfet de la Guyane(1).
Avant même la discussion publique et la mise en débat de la mine, les jeux semblent faits. Le massif du Dékou-Dékou, réserve biologique intégrale, pourrait s’offrir au pillage de compagnies russes et canadiennes. Une question d’habitude pour une poussière d’empire qui vit avec la fièvre de l’or depuis le milieu du XIXe siècle.
Au sein du collectif citoyen « Or de question », une poignée de bénévoles a pourtant potassé une batterie d’arguments contre la mine et veut pousser dans leurs retranchements élus et sociétés minières.
24 associations disent « Or de question ».
« Les rejets de produits chimiques sont dantesques. On parle de 10 tonnes de cyanure et autant d’explosifs par jour. Autant de produits qui risquent de s’infiltrer dans le réseau hydrographique très dense et complexe de la Guyane, s’emporte ainsi Philippe Boré, de l’association Maïouri nature.
La ligne électrique nécessaire à l’exploitation va coûter à la collectivité 60 millions d’euros, sans compter l’implantation d’un complexe industrialo-portuaire sur les rives du fleuve Maroni, afin de réceptionner et stocker ce mélange détonnant de carburants et de chimies diverses. Les peuples guyanais seront perdants».
Le collectif Or de question réunit vingt-quatre associations. Des veilleurs autonomistes (Couachi, Guyane mo péyi), des écologistes (Les colibris, Maïouri nature…), les géologues d’Ingénieurs sans Frontières/SystExt, la Ligue des droits de l’homme, les fondations Danielle Mitterrand et Nicolas Hulot, les peuples autochtones représentés par Premières Nations et la Fédération des autochtones de Guyane…
« Nous avons gagné en 2006 contre les Canadiens d’Iam Gold et le projet Cambior, alors que les industriels menaçaient les montagnes de Kaw. Les enjeux sont démultipliés cette fois-ci. Ils pensent nous user mais ils se trompent, nous serons toujours là contre les projets qui ne proposent que destructions et pillages », revendique Nora Stephenson, du collectif Couachi.
Le danger des digues
Le massif du Dékou-Dékou se dresse de toute sa masse, la tête dans les nuages. Juste devant lui : la montagne Lucifer, un plateau large, horizontal et très élevé. Ces deux ensembles forment un écosystème fragile, dans lequel une exploitation minière d’envergure pourrait s’avérer périlleuse.
À la suite du réchauffement climatique, des risques d’inondations et de glissements de terrain sont en effet relevés par les climatologues (2) et les connaisseurs du massif.
Pourtant, l’absence de plan de prévention de mouvement de terrain sur cette zone évite de classer la montagne dans la catégorie « risque élevé ». Autre source d’inquiétude : les digues qui retiennent les déchets miniers toxiques.
Depuis 2001, 22 accidents causés par des digues minières ont été répertoriés dans le monde, relève le collectif Or de question.
Non loin de là, au sud-est du Brésil, les médias locaux ont surnommé « Fukushima brésilien » la rupture de deux barrages qui ont laissé échapper une coulée de boue toxique.
Bilan : une région ravagée sur 800 km le long du Rio Doce, la mort de 20 personnes et la disparition d’une vingtaine d’autres.
A 500 mètres d’une réserve biologique
Quant au risque écologique, il semble démesuré. L’exploitation est prévue à moins de 500 mètres de la réserve biologique intégrale de Dékou-Dékou/Lucifer, dont la surface a été réduite récemment pour être compatible avec ce projet minier.
Autour du site où est prévue la fosse d’extraction, une zone naturelle d’intérêt écologique, floristique et faunistique (ZNIEFF, espace non protégé) dessine une étendue verte insondable. Plus d’une trentaine d’espèces végétales déterminantes y sont inventoriées, dont plusieurs sont particulièrement rares, comme Leandra cremersii, un petit arbuste intégralement protégé.
Certaines fougères ne sont connues en Guyane française que sur le versant nord du Dékou-Dékou, où se trouve la fosse d’extraction. Enfin, un arbre de la famille des Moraceae (les ficus), non encore décrit par les scientifiques, n’est connu à ce jour que des massifs de l’ouest guyanais.
Concernant la faune, malgré les perturbations existant dans les zones basses, les forêts d’altitude accueillent encore des grands mammifères : atèles (des singes qui ont besoin de l’intégrité de la canopée pour survivre), capucins blancs, jaguars et tapirs.
Y vivent également des oiseaux rares ou endémiques comme l’oiseau-cloche, le faucon orangé et la coracine chauve. Le bassin versant abrite enfin des poissons importants pour l’écosystème de la Guyane.
L’emprise des infrastructures, fosses et aménagements est estimée par le collectif Or de question à 600 hectares, ce qui serait un minimum d’après une source proche du dossier, qui évoque plutôt le double – sans compter la route d’accès à la mine.
Au-delà de ce périmètre d’exploitation, la mortalité des arbres pourrait s’étendre jusqu’à plus de 300 mètres de la lisière. « Les vents dominants venant de l’est et du nord en Guyane, il est fort probable que le sol à nu de la fosse soit source d’air sec et chaud et que celui-ci pénètre dans la forêt, un écosystème très sensible qui s’en verrait profondément modifié », fustige Philippe Boré, de l’association Maïouri nature. L’après mine, qui doit durer une centaine d’années, pose aussi question.
Quelles compétences, quels investissements peuvent-être garantis sur une aussi longue durée ?
Sites clandestins
L’étude d’impact sur la faune et la flore devait être rendue en avril, mais une simple visite sur le site permet de vérifier qu’il y a eu un regain d’activité minière avec des installations légales de chantiers alluvionnaires liés, maintenant ou dans un futur proche, à la société guyanaise d’exploitation de la Montagne d’or, et de nombreux sites clandestins tenus par les garimpeiros, les chercheurs d’or brésiliens, sur le pourtour du massif.
« Nordgold a déjà sérieusement amoché la forêt au niveau de la fosse pour faire ses prospections, avec une piste slalomant à travers le versant nord et une plate-forme de forage », soutient un amoureux de la nature passé dernièrement par le massif.
Les exploitants ont déjà déboursé près de 60 millions d’euros dans la phase de prospection, mais la mise en production du site n’est attendue que pour 2020 ou 2021.
Après les études d’impact et les enquêtes publiques, le matériel devra être acheminé, la piste améliorée…
Les associations écologistes ne perdent pas de temps pour autant et cherchent à faire entendre au plus vite leur message à la population, qui constitue le dernier obstacle à cette mine : les politiciens et le monde économique ont depuis longtemps rejoint les défenseurs de l’exploitation aurifère de grande ampleur.
Gérôme Guitteau
1 – Interview du préfet sur ATV Guyane, 24 février 2017.
2 – www.guyane.developpement-durable.gouv.fr (Impacts potentiels du changement climatique)
Pour aller plus loin :
• Le site de Maiouri Nature : https://sites.google.com/site/maiourinature/home
• Le Facebook « Or de Question » : http://esperancegoldmine.com/index.php/fr/lor-en-guyane
• Histoire contemporaine de l’or de Guyane (de 1947 à nos jours), J. Petot, L’Harmattan, 1993
• L’or de la honte, Alex May, Calmann-Lévy, 2007
• Histoire générale de la Guyane française, Serge Mam-Lam-Fouck, Ibis rouge éditions, 1996
• Deux polars pour la route : Après la mangrove, François Robin, Orphie, 2011, Les hamacs en carton, Colin Niel, éd. du Rouergue, 2012
Sommaire du numéro 129 – Avril 2018 :
- EDITO : A quand l’égalité salariale entre hommes et femmes ?
- Elevage : La vache ferrandaise sauvée
- Sport : Le torball murmure à l’oreille des sportifs
- Entretien : Quel avenir pour la zad ?
- Les pokémon pastichés : Les Amis de la Terre créent leurs monstres
- Reportage : Une association au plus près des décrocheurs scolaires
- En images : Paroles d’éleveurs
- Les actualités : La société générale finance le réchauffement climatique
- Brésil : Pas d’agroécologie sans formation politique
- Mayotte : une si prévisible explosion
- Fiches pratiques : Jardiner en appartement / Fabriquer et piloter son lombricomposteur
- Agenda et Petites annonces