Au Burkina Faso, Évelyne Kantiono anime des « causeries » pour que les femmes tirent le meilleur parti des plantes locales. Elle travaille pour l’association Jardins du monde, qui recueille les savoirs populaires, les recoupe avec les données scientifiques, et crée des jardins communautaires pour cultiver les plantes en question.
Nes savoirs sur les propriétés médicinales des plantes tendent à disparaître et manquent souvent de précision. Ils s’avèrent pourtant précieux, en particulier dans les zones peu couvertes par la médecine conventionnelle. Selon l’Organisation mondiale de la santé, près de 80 % de la population de la planète utilise les connaissances des médecines populaires et traditionnelles pour se soigner.
C’est sur ce constat que l’association Jardins du monde a été créée en 1992 par Jean-Pierre Nicolas, ethnobotaniste et anthropologue, qui se trouvait alors au Guatemala. Des enquêtes auprès des mères de famille, des soigneurs traditionnels et des chefs de village lui ont permis de recueillir des informations sur l’utilisation des plantes médicinales, qui ont ensuite été croisées avec les données scientifiques.
Gaëlle Le Roux, l’une des coordinatrices de l’association qui a son siège en Bretagne, explique :
« Ce que nous apportons, c’est le recoupement entre ces deux canaux d’information. Nous sélectionnons les plantes reconnues par les communautés et sans risque de toxicité ; nous publions des ouvrages disponibles en libre téléchargement sur les méthodes d’utilisation et les doses recommandées. Nous faisons aussi de la sensibilisation théâtrale, des formations… Notre objectif est de vulgariser au maximum. Nous avons également des partenariats avec des soigneurs traditionnels, qui nous demandent par exemple de travailler sur la toxicité chronique des plantes qu’ils utilisent. »
Bouillies enrichies pour bébés
Aujourd’hui, Jardins du monde n’a plus d’antenne au Guatemala, où elle continue de soutenir l’association Médicos descalzos (Médecins aux pieds nus). Elle est présente à Madagascar et au Burkina Faso, avec dans chaque pays une équipe locale de 7 à 8 personnes qui organisent des formations et sensibilisations, créent et entretiennent des jardins médicinaux, favorisent la commercialisation des plantes… et participent dans certains cas aux politiques nationales de santé publique.
À la demande du gouvernement burkinabé, Jardins du monde s’est ainsi engagée dans un programme de dépistage de la malnutrition des enfants de moins de cinq ans. Évelyne Kantiono, responsable santé, explique que les « causeries éducatives » qu’elle anime dans les villages réunissent facilement une centaine de femmes, qui viennent s’informer et faire peser leur progéniture. Pour les enfants malnutris, l’association a mis au point des « bouillies enrichies » à base de produits locaux, adaptées aux différents âges. « On prépare une farine à base de petit mil, de haricot et d’arachide torréfiés, indique Évelyne Kantiono. Au moment de préparer la bouille, on ajoute du moringa », une plante riche en protéines, vitamines et minéraux. Des sachets de farine et de moringa prêts à mélanger sont déposés dans les centres de santé de Koudougou (100 000 habitant·es) et de cinq villes voisines, au centre du pays.
Former les femmes et les élèves
L’animatrice travaille aussi sur la diversification du régime alimentaire grâce à la création de jardins communautaires. « Les femmes préparent souvent du sorgho tous les jours. Mais elles peuvent varier tous les jours l’accompagnement grâce aux légumes et condiments ! Je lutte pour ça. Car sinon, le peu de nourriture qu’on a, on l’utilise mal. »
Dans les jardins communautaires, les cultures vivrières des femmes sont installées à côté des plantes médicinales qui leur permettent de préparer les remèdes dont elles ont besoin. Nutrition et soins de santé sont en effet étroitement liés aux yeux de Jardins du monde, qui prépare l’organisation, fin novembre à Ouagadougou, d’un forum sur la relocalisation de l’alimentation.
Dans cette région rurale où « il est rare que les gens aillent à l’hôpital car ils n’en ont pas les moyens », l’association fait le lien entre les médecines « moderne » et traditionnelle. En insistant sur la nécessité d’aller à l’hôpital en cas de maladie grave, en formant des étudiants et des employés des centres de santé, ou encore en organisant des échanges avec les soigneurs traditionnels.
« Nous leur parlons de l’hygiène de leurs produits, de la toxicité de certaines plantes si on a telle ou telle maladie. Eux nous apprennent beaucoup sur les plantes. »
Si les tradipraticiens reconnus sont souvent des hommes, une grande partie des savoirs et des pratiques sont cependant détenus par des femmes « qui se sous-estiment », remarque Gaëlle Le Roux. Les causeries d’Évelyne Kantiono leur permettent d’asseoir leurs connaissances, d’affiner les dosages et d’utiliser plus efficacement les plantes.
Lisa Giachino
Numéro 140 : avril 2019
Au sommaire du numéro 140
- EDITO : manifester, dangereux ? / Climat : « c’est aux jeunes de convaincre les vieux »
- Courrier et concombres
- Burkina Faso : jardins de santé
- Congo : l’homme qui répare les femmes
- Isère un commissaire-enquêteur lance l’alerte
- Livre : Bill Gates philanthro-capitaliste / Film : territoires zéro-chômage
- Le poster : le tempérament des arbres
- Actus : Fini les directeurs d’écoles ?/ L’affaire Adama Traoré relancée / La toile bien tissée de Cédric Villani
- Lorgnettes : La galère des délogés de Marseille / Et bien, fusionnez maintenant !
- L’atelier au jardin, rubrique à bec, la pause Qi Gong, jouons z’un brin
- Le forum
- Fiches pratiques : construire une kerterre
DOSSIER 6 pages :
Menaces sur la forêt
La forêt en danger
Privatisation et industrialisation de l’ONF ; centrales biomasse démesurées ; scénarios de lutte contre le changement climatique qui envisagent une forêt très productive coupée en permanence ; filières de certification peu fiables…
Il y a de bonnes raisons de s’inquiéter pour la forêt. Il est temps d’aller voir de plus près ce qu’il s’y passe. C’est ce que nous avons fait, en emboîtant le pas de forestiers amoureux de leur métier et de ce milieu naturel indispensable à l’équilibre de la vie.