À Chamonix, une poignée de militants gratte l’usine à millions qu’est devenue l’Ultra Trail local, grand messe spectaculaire où des personnes majeures mesurent leurs limites.
Article publié initialement en mars 2018
Le trail (la trace) est un sport qui consiste à courir sur des sentiers en pleine nature, généralement sur de longues distances et avec de forts dénivelés. Parmi les événements mythiques de la discipline, l’Ultra Trail du mont Blanc (UTMB), dont le départ est donné à Chamonix chaque année depuis 15 ans. Il s’agit de parcourir 171 kilomètres sur des sentiers cumulant 10 kilomètres de dénivelé positif, le tout avec ses pieds, et ce sans assistance électrique, si l’on excepte les piles de la lampe frontale et de la montre connectée. Il faut également s’équiper de bâtons télescopiques, de lunettes de soleil, de sacs à dos spéciaux, de chaussettes « techniques », de chaussures « de trail »… et mieux vaut prendre le meilleur (le plus cher) des accessoires quand il s’agit, paradoxalement, de « se confronter à soi-même », comme l’évoquent beaucoup de coureurs : un tiers de ceux qui ont payé 250 euros pour prendre le départ n’arriveront pas au bout de cette course démesurée.
Le trail, comme toutes les activités de pleine nature devenues « sport », multiplie les paradoxes. Ceux qui fuyaient les stades d’athlétisme et le bitume ont vu débouler l’argent et
la compétition sur les sentiers escarpés, là où justement ils pensaient les avoir semés… L’UTMB générerait quelque 10 millions d’euros de chiffre d’affaires pour les territoires traversés.
CONSOMMER LA NATURE
« On a installé des chaises longues et des hamacs dans les arbres, au bord du parcours. On a préparé du thé pour accompagner les tartes. » Philippe Serpollet se souvient de la première Ultra sieste, en 2009, organisée par « quelques militants et associatifs » locaux pour dénoncer « les valeurs de compétition, et la montagne devenue objet de consommation ». Dans les jours qui suivent, les réactions passionnées pleuvent à l’encontre de la « manifestation siestive ». « C’est seulement quand on a vu toutes ces réactions qu’on a vraiment compris qu’on avait mis le doigt sur quelque chose de sensible, d’ultra sensible. » Dès la deuxième édition, les organisateurs couplent la sieste militante avec des conférences, « pour amener un peu de recul ». Les interventions des sociologues, anthropologues, philosophes, politologues, apportant tous un regard original sur le sport, qui se succèdent durant les différentes éditions de l’Ultra sieste, n’y changent rien. « Encore aujourd’hui, on a beau prendre d’infinies pincettes, on est ostracisé dès qu’on évoque la moindre critique envers l’ultra trail », regrette Philippe. Les Ultra siesteurs
ont semble-t-il engagé une lutte ultra longue.
Fabien Ginisty