Des millions de personnes sont accrocs au camping et ne troqueraient leur toile de tente pour aucune chambre d’hôtel au monde. Cette pratique permet notamment de se reconnecter à la nature et de tester une vie plus simple, plus sobre, plus libre.
Ça fait bientôt un siècle que ça dure : chaque été, des millions d’humains désertent leur habitation « en dur » pour vivre dans de fragiles toiles de tente. Ils n’y sont pourtant pas forcés, comme l’étaient les soldats romains qui, il y a 2000 ans, montaient déjà des tentes pour former leurs camps (campus). Non, ceux dont nous parlons aujourd’hui le font volontairement ! Rien qu’en France, pour la seule année 2022, 22 millions de touristes se sont livrés à cet étrange manège (1). Comment expliquer un tel phénomène qui consiste, d’un certain côté, à fuir le confort moderne pour aller chercher des conditions de vie plus spartiates ?
Avec 7 600 établissements et 872 000 emplacements, la France concentre à elle seule un tiers de l’offre européenne en matière de camping. Autrefois réservé à quelques plaisirs bourgeois puis aux excursions de groupes de scouts, la popularisation de cette activité a lieu en 1936, lorsque le Front populaire instaure deux semaines de congés payés. Dès 1937, alors que la folie du camping n’en est qu’à ses débuts, des maires en prévoient le succès grandissant et commencent à prendre des mesures. C’est par exemple le cas dans le département du Var où, dès le 15 avril 1937, le Syndicat des communes du littoral varois adopte un projet de résolution afin de réglementer « le mode de tourisme communément désigné sous le nom de “camping” et dont l’usage tend à se généraliser » (2).
Décennie après décennie, une réglementation se met en place, au détriment des campements « sauvages » qui disparaissent peu à peu. Des communes s’adaptent, construisent des aires d’accueil municipales. Des citoyens s’organisent pour créer des campings autogérés. Au début des années 70, c’est le grand boom : des millions de campeurs sillonnent désormais la France, et des petits (puis des gros) malins sentent le bon filon. Les campings privés se développent, puis on assiste à la privatisation des municipaux, suivie d’une certaine gentrification des emplacements… Bref, se structure un business qui a atteint les 2,8 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2021.
Renouer avec son environnement naturel
Quoi qu’il en soit, la passion du camping, qui reste un mode de vacances relativement bon marché, est tenace. Selon une récente étude, plus d’un Français sur trois a fait au moins une fois du camping au cours des trois dernières années. Les jeunes et les familles des classes populaires en sont particulièrement friands. Le rapport qualité-prix de ce style de vacances est l’une des principales motivations avancées.
Mais les campings sont peuplés de gens de tous âges et de toutes conditions sociales. Car le prix n’explique pas à lui seul l’attachement des vacanciers à ce type d’hébergement. Ainsi, le camping est aussi perçu comme « un mode de vacances convivial », « favorisant la mixité sociale », et « permettant de se rapprocher de la nature ».
L’humain du XXIe siècle est très largement coupé de l’environnement « naturel ». Quoi de mieux, pour reprendre contact, que de déserter les murs en béton pour vivre en plein air, dormir quasiment à la belle étoile et à même le sol, se délester de tout le fatras de la société industrielle ? Dans cette optique, un bon emplacement vaut assurément n’importe quelle chambre d’un hôtel trois étoiles !
En analysant « le prix à payer d’une vie sans efforts ni contraintes », l’anthropologue Stefano Boni rappelle qu’« on peut bénéficier de toutes les avancées du progrès et vivre de façon confortable sans pour autant être heureux ; et il arrive même que des symptômes de déséquilibre, d’impatience, de névrose ou de dépression se manifestent ». Bien qu’il ne parle pas précisément de camping, il écrit ensuite qu’au XXe siècle, apparaît « dans les régions et les classes sociales les plus aisées de la planète, ce que nous pourrions appeler le bien-être de deuxième génération, où le confort est tellement répandu qu’il en devient presque pesant ». S’en séparer, l’espace de quelques jours ou de quelques semaines, devient réparateur.
« Ne pas avoir »
Pour autant, « le mépris du confort est une sottise (aucun idéalisme ne redressera un lumbago), il faut seulement adapter ce confort à de nouvelles conditions d’existence », indique l’écrivain Bernard Gorsky en 1954. De quoi a-t-on réellement besoin pour camper ? Une tente, un sac de couchage, un réchaud pour faire cuire les pâtes… Quoi d’autre ? Une lampe torche ? Des chaises et une table ? Une glacière ? Pourquoi pas, carrément, un frigo ? À chacun son degré de confort, en fonction de ses capacités (de transport, financières, physiques, etc.) et de ses envies. Car là repose une bonne part de la magie du camping : trouver le bon équilibre entre confort et précarité qui, lorsqu’elle est choisie et passagère, se révèle étonnamment agréable.
Au camping, l’absence de biens matériels n’est pas synonyme de pauvreté, mais de courage et de débrouillardise ! Ce qui est satisfaisant, ici, est parfois plus de « ne pas avoir » que l’inverse. Ainsi, un bon campeur, nous semble-t-il, n’enviera pas le voisin qui a installé une télé sous sa tente…
Cette sobriété peut aussi entraîner quelques galères, qui se racontent plutôt sous la forme de petites aventures. Il se dit qu’il faut être tombé sept fois de son cheval pour être un bon cavalier. Pour être un bon campeur, peut-être faut-il avoir eu sept fois sa tente inondée faute d’avoir creusé des tranchées tout autour, ou envolée pour n’avoir pas planté convenablement ses sardines ?
Selon Bernard Gorsky, « pour camper et aimer camper, il faut d’abord l’avoir détesté. Qu’est-ce que le camping, au fond ? Une lutte de l’esprit contre les habitudes du corps […], le confort moderne et quotidien opposé à l’amour de l’homme pour la nature. Ce combat a ses règles. Le vrai campeur, avant d’arriver à la conclusion que la vie du camping est idéale, a dû éliminer les déceptions des premiers jours et, patiemment, apprendre les mille et une choses dont le plein air réclame l’expérience exacte. Celui qui part avec son barda, sa tente et dit aux camarades, du fond de son cœur joyeux : “Cela va être épatant”, celui-là, et suivant une expression consacrée depuis les bancs de la communale, en a bavé et ne s’en est pas dégoûté ». Dégoûtés du camping, nous ? Jamais !
Nicolas Bérard
Illustration : © Alexe Lolivrel, pour L’âge de faire