Accueil paysan met en lien agriculteurs et vacanciers, depuis plus de trente ans, en camping, mais pas seulement. Les acteurs de ce réseau d’éducation populaire sont confrontés aux contraintes sociales et écologiques de plus en plus fortes du tourisme. L’assemblée générale annuelle a été l’occasion de partager des idées et des façons de s’ajuster.
C’est au cœur de l’hiver que les membres d’Accueil paysan se retrouvent chaque année pour envisager les évolutions de leur métier de paysan·nes-accueillant·es. Le tourisme était l’objet des rencontres de cette année, sur les bords de l’étang de Thau dans l’Hérault. Cette économie, très sensible aux aléas, a été bouleversée pendant la crise sanitaire. L’émergence de nouvelles envies dans le public, concernant un tourisme plus local avec des pratiques plus écologiques, a profité à l’activité des membres de l’association en 2020 et 2021, tandis que l’été 2022 était marqué par des canicules à répétition, une forte sécheresse et une prise de conscience générale des désordres climatiques. En concurrence avec l’agriculture comme avec les besoins des habitant·es à l’année, le tourisme interroge les accueillant·es sur sa cohérence avec leurs valeurs.
« ON N’EST PAS LÀ QUE POUR GAGNER DU POGNON »
« C’est notre responsabilité d’acteurs ruraux de ne pas nous engouffrer dans une activité qui fait mal au territoire. On n’est pas là que pour gagner du pognon », rappelle Pierre-Jean, éleveur équin et caprin à la retraite, aujourd’hui accueillant au Coustalou à Najac, dans l’Aveyron. Beaucoup constatent que dans les territoires attractifs, le tourisme prend la part belle des logements, sous forme de résidences secondaires, de locations temporaires ou d’offre hôtelière, et en prive les habitant·es les plus précaires. Dans la Drôme, Inès, paysanne à La Chèvre qui saourit, à Saou, a sorti son gîte et sa chambre d’hôtes du marché touristique pour les louer à l’année.
C’est moins de travail pour elle, qui peut ainsi s’investir plus sur la ferme, mais le manque à gagner est important. Élisa, éleveuse de vaches allaitantes à la Maison neuve en Vendée, fait aussi le choix de « ne pas gagner trop d’argent » pour rendre son camping plus accessible. Elle accepte les chèques-vacances, même si c’est peu avantageux pour elle, et refuse de faire payer des suppléments aux vacancier·es. Élisa loue 400 euros la semaine un mobil-home de quatre personnes mais dans sa région, les prix grimpent facilement à 1.200 euros, avec des infrastructures plus coûteuses : climatisation, équipements plus chers à renouveler plus souvent.
Les accueillant·es notent autour d’eux une montée en gamme généralisée des infrastructures d’accueil et une offre qui se réduit pour les familles de classe populaire. Le secteur, qui n’est plus piloté par un ministère mais par une agence, Atout France, dans laquelle sont très bien représentés les acteurs « trois étoiles », soutient une logique d’augmentation des dépenses touristiques par personne. Avec pour conséquence, l’exclusion des plus pauvres.
À cela, les membres d’Accueil paysan répondent en préservant des conditions d’hébergement plus rustiques, où l’on préfère des solutions plus écologiques et sobres. « Les mobil-homes de nos voisin·es sont climatisés, note Élisa, alors que le meilleur climatiseur, c’est l’arbre. Nous, on en a 3.000 sur le camping et on n’a pas de bitume ! » Laurence, éleveuse de bovins à la ferme du Paradis dans le Tarn-et-Garonne, résume la philosophie d’Accueil paysan : « C’est trouver le luxe ailleurs que dans la clim et la piscine. » Une autre vision de l’écologie se déploie ici, loin des recettes dénués de sobriété du tourisme durable à base d’ampoules LED, de dispositifs d’économie d’énergie et de tri des déchets.
DES VACANCES PLUS ÉCOLOGIQUES
Dans presque toutes les régions, les fermes ont subi de plein fouet les conséquences du changement climatique lors de l’été 2022. Cela a donné lieu à une concurrence douloureuse entre tourisme et agriculture pour les ressources, notamment l’eau, quand celle-ci était encore disponible. Les membres d’Accueil paysan s’organisent pour être aussi sobres dans un champ que dans l’autre.
Cela passe par des équipements bien pensés comme la récupération des eaux (pluie, douche, vaisselle) ou l’absence de pommeau fixe dans la douche. Certain·es ont fait le choix des toilettes sèches mais pour d’autres c’est trop de travail et de manutention, ou bien impraticable avec l’accueil de classes entières d’enfants qui n’y sont pas habitué·es. Ce sont aussi les usages qu’il faut interroger. Les accueillant·es font l’effort de sensibiliser leur public aux économies d’eau et d’énergie, mais le message passe parfois difficilement.
Florence, de L’Asinerie d’En Manaou en Haute-Garonne, a vu des accompagnateurs brancher, pour la sieste des enfants, une climatisation portable dans une salle ouverte sur l’extérieur. Elle a envoyé tout le monde se rafraîchir sous les arbres. Sensibiliser à l’écologie, c’est aussi la découverte de la nature, particulièrement pour les plus jeunes. Élisabeth, apicultrice aux Ruchers des Mességuières dans le Vaucluse, a à cœur d’expliquer aux enfants le rôle des animaux sauvages et de la flore, moins connu et qui sert « à tout le monde, aux humains mais aussi aux insectes, au sol, aux autres animaux ».
« QUID DU RÉCONFORT ? »
La gouvernance du tourisme, jadis ambition politique émancipatrice, repose désormais plus sur le marché, qui valorise des choix très standardisés. Prosper Wanner, anthropologue et animateur de l’association Les Oiseaux de passage qui se mobilise pour l’accueil de toutes et tous à Marseille, note qu’en matière de tourisme social, les aides à la personne sont dépensées à hauteur de 5 % dans les structures de l’économie sociale et solidaire. Disneyland Paris capte la première part de cette manne.
Les injonctions sociales sont fortes, et les parents souhaitent souvent offrir à leurs enfants des vacances considérées depuis l’extérieur comme appréciables. Accueil paysan propose des séjours où priment la rencontre, l’accueil de l’autre, la diversité, quelle que soit la modalité de l’accueil, touristique, social ou éducatif. « On n’est pas figés sur un type d’accueil, explique Patricia, vigneronne au Domaine des 3 Versants en Loire-Atlantique. On n’est pas tenus d’avoir une piscine, un lave-vaisselle, la télé, des éléments de confort pur. On a envie de faire découvrir ce qu’on vit, surtout de les accueillir. Il en faut, du confort, mais pas obligé d’avoir un méga confort. »
Prosper Wanner observe que « les critères d’Atout France, c’est l’espace, le privatif, l’équipement, le technique, le confort ». Mais quid du réconfort, demande-t-il ? C’est pourtant ce qu’offrent « l’espace en commun, les espaces de rencontre, le contributif, le rapport au territoire, à l’histoire du lieu et de la personne ». Dans la rencontre, les paysan·nes découvrent l’étendue de leurs savoirs, notamment leur connaissance du territoire et de ses habitant·es, comme Colette, permacultrice dans l’Orne : « On transmet notre éducation et nos savoirs et savoir-faire. Et moi ça m’enrichit, j’apprends plein de trucs sur d’autres domaines ! »
Quand les paysan·nes voyagent à leur tour, c’est avec la même volonté de faire des rencontres. Élisa, pour venir à l’assemblée générale près de Sète, a pris ses premières vacances en trois ans : « On s’est arrêté à Millau chez des gens qui viennent chez nous depuis sept ans tous les étés. Cette fois c’est eux qui accueillaient. Quand j’ai vu où ils habitaient, je leur ai demandé pourquoi ils venaient en Vendée. Ils ont répondu : “C’est parce qu’on vous aime !” »
Aude Vidal pour le pôle InPact*
www.accueil-paysan.com